Fragments d'un discours amoureux. Jeune magistrate parisienne originaire de Besançon, Agathe Saint-Maur (nom de plume destiné à protéger le devoir de réserve qu'exigent ses fonctions) a publié en 2021, chez Gallimard, un magistral premier roman, De sel et de fumée. Ce coup d'essai, récompensé par le prestigieux prix Fénéon, semblait en appeler très vite d'autres. Mais l'autrice, peut-être désireuse de ne pas se soumettre aux vaines injonctions des carrières éditoriales, fussent-elles naissantes, n'a pas (encore ?) donné suite. Pourtant, la revoilà aujourd'hui, loin du roman, avec une étrange, impure et très réussie proposition littéraire, Rends ta couronne. Une sorte de long poème en prose, un pas de côté hors des sentiers battus de la fiction. Dans ses plus beaux moments − et ils sont nombreux −, cette chronique de la perte en même temps que discours amoureux évoque le sublime Feux de Marguerite Yourcenar. Elle avoue : « Je tombe aussi souvent amoureuse du regard un peu triste d'un type dans lequel j'ai cru voir des funambules de son enfance. » Ce fut Pablo. Un garçon souvent quitté, toujours repris, jusqu'à cette ultime fois, donc. La narratrice retrouve son souvenir, aussi chaud qu'un cadavre tout neuf, près d'une pizzeria de La Villette où le couple avait semble-t-il ses habitudes. Et tout, elle retrouve alors absolument tout. Tous ses fantômes familiers : « Quelle tête il a, le sentiment amoureux sans lieu pour son fantôme ? Pas sûre que l'amour soit, sans fantômes. Or les fantômes requièrent des lieux à hanter. Je ne sais pas si on fuit les villes à cause des fantômes ou si on reste dedans pour continuer à les servir. Moi, je ne me vois pas habiter une ville où les arêtes des murs auraient pas tes pommettes. » Tout n'est que ressassement, mêmes rues traversées par la nuit, mêmes questions du particulier vers le collectif, mêmes solitudes. L'amour est un sommeil partagé, il est aussi celui de la raison qui engendre les monstres. Et la fatigue. Pleine de larmes (parfois de colère, aussi), Agathe Saint-Maur est toujours brillante et juste. Alors bien sûr, elle peut dire que « le problème du roman, c'est qu'il n'y a pas assez de silence dedans ». N'empêche, à sa façon si joliment singulière, elle vient bien d'écrire son second...