Sur une terre devenue difficilement vivable, René et Josiane acceptent de tenter, sous la surveillance de leurs congénères qui n’aspirent qu’à les suivre, l’expérience d’une renaissance dans un univers virtuel. Tels des Adam et Eve du XXIe siècle, ils sont projetés dans une matrice au sein de laquelle ils peuvent modeler leur propre monde presque à l’infini, se laisser aller à leurs désirs. Avec Alt-life, pour lequel ils se réfèrent explicitement à Descartes ("Je ne suis, précisément parlant, qu’une chose qui pense"), mais aussi à Matrix et au Monde d’Ædena de Mœbius, Thomas Cadène (au scénario) et Joseph Falzon (au dessin) actualisent et renouvellent la bande dessinée de science-fiction.
On ne sera pas surpris que les fantasmes de leurs personnages portent d’abord principalement sur le sexe. Mais l’album des deux jeunes auteurs est bien loin de ne constituer qu’un prétexte facile à la représentation de scènes d’accouplement. Rapidement, suivant le fil de ses désirs, Josiane multiplie les aventures avec des amants imaginaires. Pragmatique, elle s’adapte rapidement alors que René, lui, qui porte le même prénom que Descartes, s’ennuie, jugeant vaine l’accumulation d’images dont il ne sait que faire. En dépit de leurs approches divergentes, ils vont pourtant se retrouver au détour d’une de leurs excursions dans ce monde qu’ils génèrent eux-mêmes à l’envi et dont ils sont prisonniers.
Ouvrant une réflexion sur les dynamiques du virtuel, Thomas Cadène et Joseph Falzon approfondissent des logiques à l’œuvre depuis une décennie pour imaginer des personnages totalement décollés des réalités. Crédible, stimulant et dérangeant à la fois, leur album renoue avec la BD de science-fiction très politique qui s’exprimait dans le magazine Métal hurlant dans les années 1970. Il repense l’ensemble des rapports sociaux à l’aune de la révolution numérique. Indispensable. Fabrice Piault