Rentrée d'hiver 2022

Adèle Rosenfeld, « Les méduses n'ont pas d'oreilles » (Grasset) :Sacré ouïe-dire

Adèle Rosenfeld - Photo © JF Paga

Adèle Rosenfeld, « Les méduses n'ont pas d'oreilles » (Grasset) :Sacré ouïe-dire

L'héroïne de la primo-romancière Adèle Rosenfeld affronte un changement auditif, qui risque de modifier sa vision de la vie, du langage et du monde extérieur. Tirage à 4000 exemplaires.

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Par Kerenn Elkaim
Créé le 08.12.2021 à 17h51

Si Louise se définit comme une « déracinée du langage », c'est parce qu'elle est en grande partie sourde. Un point commun avec l'auteure de ce premier roman, Adèle Rosenfeld. On rencontre l'héroïne quand elle apprend qu'elle s'apprête à perdre le peu d'ouïe qu'il lui reste. Cette nouvelle fracassante ne peut que la fragiliser, comme si elle touchait à son identité profonde. Jusqu'à présent, Louise a toujours navigué dans un entre-deux un peu flou, en ayant « le sentiment de n'appartenir à aucun monde. Pas assez sourde, pas assez entendante... ». Slalomer entre ces réalités faisait presque sa fierté. D'autant qu'elle s'était habituée à lire sur les lèvres. « Mes oreilles, j'avais tout fait pour les museler dans le secret, mais elles avaient pris le pouvoir pour m'enfermer et m'obliger à reconsidérer mon histoire. »

Mais la donne a changé : que ça lui plaise ou non, elle va devoir porter un implant. « J'avais l'habitude de divaguer dans les silences et les mots perdus, me faire aspirer par la puissance imaginaire. » Comment cela va-t-il s'articuler avec l'arrivée de nouvelles sonorités ? Une peur panique l'envahit, comme si on lui volait une part essentielle d'elle-même pour l'échanger contre un organe impersonnel. « L'implant était cette technologie froide et amère », qui tranche avec sa personnalité. Louise s'est par ailleurs entourée d'êtres lumineux. Soit deux piliers indispensables, capables de sonder son univers mieux qu'elle. Sa meilleure amie Anne, très douée pour la secouer et saisir son imagination peuplée de nombreuses émotions.

Et puis, il y a l'amour de Thomas auquel elle « s'enliane. Chez lui, les corps et les choses avaient une place choisie ». Belle réflexion sur le langage - qui peut parfaitement se priver de paroles -, ce roman pointe également cette société excluante, qui rejette les gens différents, vieux ou handicapés. En les cachant, elle frôle « l'absourdité », comme l'écrit Adèle Rosenfeld. Née en 1986, elle écrit des nouvelles avant de s'inscrire à un master de création. La jeune femme, qui travaille dans l'édition, nous fait désormais écouter sa voix littéraire. « Le silence était un lieu où résider dans le langage. Le silence libérait des mots et des images... Je n'étais donc pas perdue, mais en chemin. »

Adèle Rosenfeld
Les méduses n'ont pas d'oreilles
Grasset
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 20 € ; 240 p.
ISBN: 9782246827061

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