Il y a des moments, dans une vie, où tout bascule. Pour Abdelilah Laloui, alors lycéen en première, ce fut ce soir où il est tombé par hasard sur le magazine littéraire de François Busnel, « La grande librairie », sur France 5. Le thème en était : « Les 20 livres qui ont changé votre vie » . Parmi les invités, « tous blancs », note le jeune homme « issu de l'immigration », et qui « s'expriment très bien », il remarque une femme avec un « drôle de chapeau » , qui « a l'air riche et cultivée ». C'est Amélie Nothomb, bien sûr, qui exprime son admiration pour Lettres à un jeune poète, de Rilke, qui a changé sa vie lorsqu'elle avait dix-sept ans.

La source média référencée est manquante et doit être réintégrée.

Fans de Mike Brant

Interloqué, Ablelilah, qui n'a jamais lu un livre de sa jeune vie, fait des recherches sur son téléphone, puis, dès le lendemain, fonce à la bibliothèque municipale de Villeneuve-Saint-Georges, pas loin de chez lui. Là, un bibliothécaire compatissant et maghrébin l'accueille, lui fait part de sa propre admiration pour ce livre, et le lui prête. A partir de là, un tabou se brise : non, lire un livre n'est ni ringard ni ennuyeux. Après avoir triomphé, à l'aide d'un dictionnaire, de ses difficultés d'accès au texte, il va le lire, le relire, l'aimer, et Rilke lui ouvrir la porte vers plein de ses collègues, de Victor Hugo à Abdellah Taïa.

C'est ce que raconte aujourd'hui Abdelilah Laloui, élève en deuxième année de Sciences-Po, fondateur et animateur de l'association Tous curieux, qui intervient auprès des jeunes pour leur faciliter l'accès à la culture, tous azimuts, et à son tour auteur d'un livre, Les baskets et le costume, où il retrace son parcours, de façon authentique « à 95 % », avoue-t-il. Les 5 % restants, il les a inventés : par exemple le personnage du bibliothécaire, qu'il appelle Rachid, est le fruit de son imagination. Même si le texte résulte des notes qu'il a prises sur des carnets dès son arrivée à Sciences-Po, il y a, chez l'écrivain en herbe, la tentation du romanesque, et un don certain pour la mise en scène. Par exemple, c'est consciemment qu'il l'a centré sur le personnage de sa mère chérie, sa meilleure alliée, et une militante farouche en faveur de la lecture. Ni elle ni son père, kabyles de la deuxième génération - elle est née en Algérie, lui ici, et il a rencontré sa femme au bled où il était reparti faire ses études, tous deux sont pieux musulmans et fans de Mike Brant - n'ont encore lu Les baskets et le costume. Mais ils sont déjà, à l'évidence, fiers de leur fils, ce garçon pas tout à fait comme ses deux frères, plus sensible, qui n'aimait pas le sport, avait la larme facile, et faisait la risée de ses camarades de collège, dans sa banlieue.

Abdelilah Laloui n'a rien d'une « caillera », tout au contraire. C'est un jeune homme élégant, brillant, qui a décidé « d'extérioriser le sentiment profond d'illégitimité, de honte, de peur face à la culture, qui (l') écrasait et (le) tirait vers le bas ». Son histoire en témoigne. Son livre aussi, né à la suite de la parution, dans Le Monde, au début de l'année 2019, de son portrait. Jeanne Morosoff, éditrice chez Lattès, l'a repéré, appelé, ils ont travaillé ensemble. Mais ce livre, écrit avec sérieux, est bien le sien. En épigraphe d'un chapitre, il a placé cette phrase de Malraux : « La culture ne s'hérite pas, elle se conquiert », qui lui va comme un gant. On lui fait cadeau de cette autre, de Gide : « Il faut suivre sa pente, pourvu que ce soit en montant ». Abdelilah la copie sur son portable. Elle rejoindra sûrement ses carnets, matrice d'un prochain livre ? « Je prends des notes », répond-il avec un sourire malicieux.

Abdelilah Laloui
Les baskets et le costume
JC Lattès
Tirage: NC
Prix: 18 euros ; 250 p.
ISBN: 9782709666251

Les dernières
actualités