Angoulême, Saint-Malo, Paris… Cette année, le Québec s’offre une place de choix dans le paysage des manifestations littéraires de l’Hexagone. La Belle Province, qui avait bénéficié de la vedettisation du Canada lors du Festival international de la BD d’Angoulême (FIBD) en janvier dernier, sera de nouveau sous les feux des projecteurs pendant toute la durée du Festival du livre à Paris, du 12 au 14 avril puis du festival Étonnants Voyageurs à Saint-Malo, du 18 au 20 mai. Deux mises à l’honneur qui témoignent de l’attractivité du livre québécois à l’international.
« Être invité d’honneur du Festival du livre de Paris n’est pas un hasard »
« Être invité d’honneur du Festival du livre de Paris n’est pas un hasard. C’est le résultat de plusieurs décennies de travail de terrain et des éditeurs, au Québec, qui se sont professionnalisés à l’international », assure Geneviève Pigeon, présidente de l’Association nationale des éditeurs de livres du Québec (Anel), dont Québec Édition constitue le comité international. Parmi les différentes stratégies mises en place pour faire rayonner la production québécoise en Europe francophone, l’association s’est assurée d’être la plus visible possible sur les manifestations internationales.
Présente depuis plus de 30 ans sur les foires du livre de Paris, Bruxelles, Montreuil, Genève ou encore Francfort, l’Anel a intensifié la représentation de ses talents locaux en négociant, dès 2022, une place plus importante dans les allées du premier Festival du livre de Paris au Grand Palais éphémère, mais aussi dans sa programmation. « À partir de là, une relation d’affaires fructueuse s’est développée avec Jean-Baptiste Passé et Xavier Duplouy, développe Sébastien Lefebvre, responsable des projets d’exportation pour Québec Edition. Tant en 2022 qu’en 2023, nous avions plus d’une vingtaine d’auteurs en séances de signature. » Et pour pénétrer un marché français bien saturé, l’Anel irrigue toute l’année l’Hexagone en envoyant du « personnel pour organiser des rencontres avec les journalistes et les libraires sur le terrain », assure Geneviève Pigeon.
Du côté de Saint-Malo, la Maison du Québec, symbole de l’amitié franco-québécoise, œuvre activement, depuis son implantation en 1984, à faire découvrir la diversité des talents artistiques de la province francophone canadienne. Outre sa synchronisation avec la 10e édition de la course Transat Québec-Saint-Malo, la mise à l’honneur au festival Étonnants Voyageurs 2024 s’intègre dans une volonté de « réaffirmer les liens historiques », raconte Emmanuel Braconnier, directeur délégué de la manifestation.
Échange, dialogue et réciprocité
Main dans la main avec Valérie Lambert, responsable de la direction artistique du festival Québec en toutes lettres, et Dominique Janelle, responsable du développement international chez Québec Édition, l’équipe du festival malouin a donc convié une dizaine d’auteurs et autrices québécoises, dont la poétesse Hélène Dorion annoncée au programme du baccalauréat. Et mis en place une brigade littéraire du Québec qui arpentera les rues pour interpeller le public.
De la même façon, le Festival du livre de Paris a concocté, avec le soutien du gouvernement du Québec et l’Anel, une programmation composée d’une quarantaine d’auteurs et illustrateurs québécois et de plus de 60 maisons d’éditions de la province canadienne. À toutes ces invitations, la Belle Province répond volontiers, respectant ainsi le socle de réciprocité à l'origine des liens tissés entre les deux territoires. Fin février, l’auteur français Alexandre Jardin était ainsi mis à l’honneur du Salon du livre de l’Outaouais (SOL) à Gatineau, tandis que le festival Québec en toutes lettres fêtera, en octobre 2025, sa 15ᵉ édition aux côtés d’une délégation d’auteurs et d’autrices françaises.
Une production éditoriale dynamique
Pourtant, il est vrai que les mises à l’honneur du Québec dans le monde du livre se sont récemment multipliées, traduisant une nouvelle effervescence autour de la production éditoriale. En 2020, Dominique Fortier devenait ainsi la première québécoise à remporter le prix Renaudot de l’essai pour Les villes de papier (Alto ; Grasset) tandis que, produit d’un secteur fleurant bon la vitalité, la Québécoise Julie Doucet se voyait sacrée, en 2022, du Grand Prix de la ville d’Angoulême. C’est donc tout naturellement que, fin 2023, une littérature arrivée à maturité, portée par Kevin Lambert (Que notre joie demeure) et Éric Chacour (Ce que je sais de toi), a conquis le public français. Alors que le premier s’est vu couronné des prix Décembre, Médicis et de la page 111, le second s’est retrouvé dans les sélections des prix Femina et Renaudot et a finalement obtenu le prix Femina des lycéens et celui de la Première Plume. Surfant sur une tendance d’exportation qui passe par la vente de droits, les deux titres, initialement publiés aux éditions québécoises Héliotrope et Alto, ont été repris en France au Nouvel Attila et chez Philippe Rey.
« Les nombreuses invitations faites au Québec en France sont un signe de dynamisme exceptionnel pour le livre québécois. Un nombre grandissant d'éditeurs québécois exportent directement en France, observe également Sébastien Lefebvre. Que ce soit en littérature avec La Peuplade, Mémoire d'encrier, Le Quartanier, en jeunesse grâce à La Pastèque (dont 25 % du chiffre d’affaires correspond aux titres écoulés dans l’Hexagone), 400 coups, La Montagne secrète ou en sciences humaines et sociales, avec Écosociété, Lux, ou encore Remue-ménage. » Depuis le travail initié en 1995 par la Librairie du Québec avec la création de la filiale Distribution du Nouveau Monde (DNM), pour diffuser une cinquantaine d’éditeurs québécois en Europe, de nouveaux ponts ont redynamisé les échanges éditoriaux entre la France et la province canadienne à majorité francophone.
Des échanges de bons procédés
Du côté de l’Hexagone, la filiale Glénat Québec cible ainsi le public, québécois ou français, auprès duquel diffuser ses albums, tout comme le groupe Editis, avec Gründ Québec, s’offre depuis 2022 les histoires originales des talents locaux. En s’associant à Harmonia Mundi Livre en janvier dernier, la maison d’édition montréalaise Héliotrope s’est, quant à elle, définitivement implantée en France à l'instar de Québec Amérique, qui diffuse et distribue, depuis octobre 2022, une partie de son catalogue en Europe francophone via Dilisco.
À la croisée des marchés anglophones et francophones, l’édition québécoise progresse aujourd’hui, en partie grâce à l’édition étrangère (44,6 % de parts de marché) mais aussi via son offre de livres francophones. D’après le 12ᵉ bilan annuel de la Société de gestion de la banque de titres de langue française, rendu début mars et issu des données de Gaspard, le marché du livre francophone a augmenté de 2,3 % en valeur pour l’année 2023. Mais peut-on expliquer les bonnes relations de la France et du Québec sur la seule base de la francophonie ? « Le Québec et la France sont plus que cousins. Outre la question de la langue et la périphérie des deux territoires, nous sommes extrêmement proches de par notre sensibilité sociétale similaire », analyse Emmanuel Braconnier.
Pour Geneviève Pigeon, si l’édition québécoise et l’édition française ont en commun « la façon de concevoir le travail sur la longueur, la qualité de l’objet livre et la relation auteur-éditeur », ce sont d’abord leurs différences, notamment dans ce que proposent les auteurs, qui nourrissent l’intérêt des uns comme des autres. « Notre américanité donne à voir de la littérature de genre, quelque chose que n’ont pas les éditeurs français. Les éditeurs québécois ont beaucoup appris avec les éditeurs anglais », observe-t-elle.
« Le Québec et la France sont plus que cousins »
Si le rayonnement du Québec est flagrant, cette année, dans l’Hexagone, l’intérêt porté à la région semble contaminer une grande partie des pays Outre-Atlantique. En 2015, la Foire du livre de Bruxelles avait désigné la Belle Province comme hôte d'honneur de sa 45ᵉ édition. Deux ans plus tard, c'était au tour de Genève d'honorer le Québec, lors de la 31ᵉ édition de son Salon du livre et de la presse. Le pays « était également à l’honneur à Rabat en 2023 et a très largement contribué au Canada à l’honneur à la Foire du livre de Francfort 2021 », souligne Sébastien Lefebvre, avant de rappeler que le berceau de la francophonie en Amérique du Nord a encore de beaux jours devant lui : « Nous avons tout récemment annoncé que le Québec serait à l'honneur à la Foire du livre de Göteborg, en Suède, en 2026. »