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Webtoon et plateformes d'écriture : en Afrique, les auteurs brisent l’écran de verre

Zebra Comics au K-Mer Otaku Festival 2023, à Yaoundé au Cameroun. - Photo Zerbra Comics

Webtoon et plateformes d'écriture : en Afrique, les auteurs brisent l’écran de verre

Longtemps restreinte à cause d’un système de diffusion-distribution défectueux, la production africaine explose à travers le numérique. De quoi donner de la place et de la voix aux auteurs du continent.

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Par Pauline Gabinari
Créé le 23.01.2025 à 15h55

En mars prochain, la bibliothèque numérique Youscribe, particulièrement présente en Afrique, ouvre les portes de sa plateforme d’écriture. Sur le même principe que Wattpad, le site proposera aux plumes africaines de déposer des textes et de faire la promotion des têtes d’affiche à travers un format numérique.

Un pari du tout écran qui semble viser juste et qui plaît à un jeune public. En cinq ans, l’entreprise est passée de 4 000 à 1,5 million d’abonnés en base active, dont 60 % de lecteurs ayant moins de 35 ans. « Au Cameroun, quand on rentre dans un taxi et qu’on le partage avec un jeune, cela arrive souvent que celui-ci soit en train de lire sur son téléphone », illustre Suyru Njoka, l’un des fondateurs de Zebra Comics, un studio de création de webtoons. 

Être vu et lu

Fraîchement arrivée à la direction générale de YouScribe il y a un peu moins d’un an, Anne-Sophie Steinlein insiste : « Notre but avec cette plateforme est de permettre à nos auteurs d’être visibles. Il y a un vrai enjeu de découvrabilité sur le continent aujourd’hui ». En effet, le continent compte de plus en plus d’auteurs en mal de publication. Car, si le nombre d’éditeurs locaux ne cesse d’augmenter année après année, il reste encore largement restreint.

En Guinée et au Niger, on compterait, selon une étude du Bureau international de l'édition française (Bief), moins de dix maisons. Une croissance de développement ralentie, entre autres, par un réseau de distribution faible ou inexistant. « Entre les problèmes de distribution, le manque de librairie et le coût d’impression, chaque livre est un gros risque financier quand on édite en papier », explique Serge Grah, éditeur chez l’Ivoirien Valesse. 

Zebra Comics au BililiBD Festival 2023, Brazzaville, Congo
Zebra Comics au BililiBD Festival 2023, Brazzaville, Congo- Photo ZEBRA COMICS

Résultat : les publications se font maigres et les auteurs, faute de trouver une maison, vont chercher du côté de l’autoédition. Au Burkina Faso, selon le Bief, on peut passer par exemple d’une production éditoriale estimée à 50 titres par an hors autoédition à une centaine de titres en l’incluant. « Tout le monde s’autoédite !, résume Serge Grah. Malheureusement dans ce bouillonnement, il y a beaucoup de mauvaise qualité, des pollueurs », glisse-t-il, mettant en cause notamment le manque de formation présent sur le continent. 

Import-export

Face aux obstacles du papier, le numérique devient alors la solution pour diffuser en masse des titres locaux et permettre aux auteurs de se faire véritablement entendre dans une production qui reste encore largement dominée par les titres importés d’occident. « On en a marre d’attendre que quelqu’un raconte notre histoire pour nous », lance Suyru Njoka. Issu d’un master en traduction, le Camerounais a, il y a de cela dix ans, tout arrêté pour monter avec une bande d’amis sa maison.

Son objectif est simple : contribuer à une plus forte représentation de sa culture dans l’industrie mondiale. Pour y arriver, il crée en 2019 une plateforme sur Android et y diffuse ses contenus puis passe en 2023 de la BD numérique au webtoon. Le succès ne se fait pas attendre. Suyru Njoka compte sur son site web entre 2 et 4 millions de visiteurs par mois. Dans ses meilleures ventes, un webtoon de romance visionné plus de 16 millions de fois. « C’est vrai que ça marche bien, mais on se bat encore tous les jours pour réussir à sortir des salaires à tout le monde », temporise-t-il. 

Zebra Comics aux Rencontres Internationales de la BD, Angoulême
Zebra Comics aux Rencontres Internationales de la BD, Angoulême- Photo ZEBRA COMICS

De son côté, Anne-Sophie Steinlein souligne l’intérêt tout autant culturel qu’économique des productions locales. « Sur les meilleurs éditeurs présents dans notre catalogue, huit du Top 10 sont africains », précise-t-elle. Certains éditeurs français ont d’ailleurs noté cet engouement. En septembre 2024, la première formation webtoon montée par Média Participations comptait parmi sa dizaine d’élèves trois étudiants africains. « Il y a une forte demande de webtoons tant du côté de la consommation que de la production », développe Ainara Ipas, directrice générale d'Ono, dont la plateforme s’est lancée sur le continent fin 2024. 

Et pourquoi pas envisager l’export ? Inenvisageable au format papier tant les frais d’envoi sont élevés, l’exportation d'œuvres africaines numériques semble une option intéressante. En témoignent les multiples nationalités des lecteurs de Zebra Comics. Nigéria, États-Unis, Côte d’Ivoire, France…  « Nous avons même des lecteurs au Japon ! », égrène Suyru Njoka. En attendant, l’éditeur protège ses auteurs. Pas question d’en vendre les droits à l’étranger. « J’ai reçu quelques propositions mais je les refuse. On est pas allés aussi loin pour vider notre catalogue ! », lance-t-il.

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