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Vintage : à la recherche du livre culte

Olivier Dion

Vintage : à la recherche du livre culte

En cherchant à retrouver des titres qui ont marqué en France ou à l’étranger, en retraduisant des classiques, en donnant une seconde chance à des ouvrages majeurs, les éditeurs surfent sur un goût du vintage qui touche la société bien au-delà du livre.

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Par Claude Combet,
Créé le 03.02.2017 à 00h33 ,
Mis à jour le 03.02.2017 à 09h17

Ils ont pour noms Mordecai Richler, Dr. Seuss ou Steve Tesich, ou pour titres Le lys de Brooklyn, L’homme au complet gris (qui a inspiré la série Mad Men), Watership Down, Le dictionnaire khazar… Ce sont autant d’auteurs et de livres cultes, tombés dans l’oubli, à l’occasion mal traduits, parfois inédits, que les éditeurs ont à cœur de nous faire découvrir ou (re)découvrir. Certains y consacrent une collection comme "Belfond vintage", "Replay" (L’Olivier) ou "Sonatine+", quand ils n’en ont pas fait leur ligne éditoriale comme Le Nouvel Attila, Monsieur Toussaint Louverture, Tristram ou les éditions du Sous-sol. Pour le plus grand plaisir des libraires et des lecteurs si l’on en croit le succès de L’homme-dé de Luke Rhinehart (L’Olivier), tiré au dépare à 3 000 exemplaires, qui atteint 50 000 ventes. Le goût du "vintage" se répand dans l’édition comme dans la mode, le design ou la décoration. Ainsi le groupement de libraires Initiales remet-il depuis huit ans le prix Mémorable (cette année, La bombe de Frank Harris, paru à La Dernière Goutte) à "la réédition d’un auteur malheureusement oublié, d’un auteur étranger décédé encore jamais traduit en français, d’un inédit ou d’une traduction révisée, complète de l’auteur".

"La littérature générale vit une perpétuelle amnésie. Une bonne partie du catalogue disparaît au fil du temps dans les stocks du distributeur, parce que les libraires n’ont pas assez de place. Il faut réveiller ces titres et les republier de façon attrayante sans tromper pour autant le lecteur", assume Olivier Cohen, créateur de L’Olivier. "Les livres ont une seconde vie. Si le livre n’a pas eu sa chance, s’il n’a pas eu le bon éditeur, la bonne traduction, s’il n’est pas sorti au bon moment, on peut essayer à nouveau", renchérit Adrien Bosc, fondateur des éditions du Sous-sol. "La course à la nouveauté peut être frustrante pour les éditeurs comme pour les libraires. On a envie parfois de revenir à des choses moins liées à l’actualité, de dénicher de grands livres un peu oubliés qui sont sortis à une époque peu réceptive, ou qu’il est intéressant de relire à la lumière d’autres éléments sociaux", confirme Caroline Ast, directrice éditoriale de Belfond étranger, qui défend des romancières anglaises, féministes, comme Barbara Pym ou Clemence Dane et son Régiment de femmes, censuré en Grande-Bretagne. Elle est l’initiatrice de la collection "Vintage", lancée en 2013 avec Les délices de Turquie de Jan Wolkers, un "livre culte aux Pays-Bas paru chez Belfond dans les années 1970", et Les saisons et les jours de Caroline Miller, prix Pulitzer 1934, vendu à des millions d’exemplaires aux Etats-Unis et considéré comme le premier grand roman sudiste, avant même Autant en emporte le vent. Rééditer ces livres, c’est aussi l’occasion de toucher une nouvelle génération qui ne les a pas lus.

Parfum de scandale

Par essence, le livre culte est une œuvre majeure, connue de quelques aficionados, à l’histoire éditoriale parfois rocambolesque. L’homme-dé, paru au Seuil dans les années 1970, "roman délirant, sorte de manifeste libertaire, politique et sexuel", avait provoqué un scandale et les écrivains catholiques de la maison avaient demandé qu’il soit retiré du programme, en vain. Olivier Cohen en a acquis les droits en 1990 à la fondation de sa maison et l’a publié plusieurs fois avant d’inaugurer la collection "Replay" avec lui, "locomotive idéale pour une collection qui reprenait des titres importants, un peu oubliés et difficiles à se procurer". S’il s’est vendu régulièrement, la recommandation d’Emmanuel Carrère dans la revue XXI, reprise dans un recueil d’articles chez P.O.L puis à "La grande librairie" devant un François Busnel également enthousiaste, a fait exploser les ventes.

Le Nouvel Attila, Le Tripode, Le Sous-sol, Tristram ont fondé leur catalogue sur ces (re)découvertes. "Nous avons été précurseurs avec Attila en publiant Edgar Hilsenrath, Les jardins statuaires de Jacques Abeille et Paris insolite de Jean-Paul Clébert. Il y a eu un mouvement et plusieurs petites maisons se sont mises sur le créneau", raconte Benoît Virot, fondateur du Nouvel Attila, qui a réédité en 2016 Le dictionnaire khazar, les livres du Dr. Seuss, "aussi connu que Walt Disney aux Etats-Unis", et Spoon River, un recueil de poèmes d’Edgar Lee Masters (Othello), classique américain paru en 1915.

Salle de boxe

Fort des 53 millions de ventes dans le monde, Dominique Bordes (Monsieur Toussaint Louverture), qui en a racheté les droits à Flammarion, a retravaillé la traduction de Watership Down de Richard Adams, "pour qu’elle soit plus cohérente avec la version originale, plus poétique et plus drôle", tout en reconnaissant qu’il est difficile d’imposer "un titre publié quatre fois". Adrien Bosc qui "adule le Canadien Mordecai Richler pour son humour ravageur et sa vision acérée de la société, chaînon manquant entre Saul Bellow et John Irving", a vu son rêve se réaliser grâce à l’éditeur montréalais Boréal, avec lequel il coédite la nouvelle traduction des œuvres. Salomon Gursky atteint 12 000 ventes (la librairie Ombres blanche, à Toulouse, en a vendu 500 à elle seule) tandis que L’apprentissage de Duddy Kravitz paraît en février. Il a aussi publié en janvier Moonbloom d’Edward Lewis Wallant, écrivain maudit, mort à 35 ans. "Nous ne sommes pas les seuls à nous intéresser à cet auteur. L’espagnol Libros del Asteroide et la New York Review of Books Collection l’ont aussi réédité", souligne-t-il. Tristram s’est attaché à défendre l’œuvre de J. C. Ballard, a réédité Hollywood Babylone de Kenneth Anger, interdit à sa parution en 1975 aux Etats-Unis et inédit en France (et l’a réimprimé huit fois), et Fat city, livre unique de Leonard Gardner, que Jean-Hubert Gailliot a pisté jusque dans une salle de boxe du Nouveau-Mexique. "Le fait qu’on ne trouve pas un livre renforce son côté culte. Mais il faut aussi un éditeur passionné, d’une autre génération, pour que l’objet soit ressuscité", note-t-il.

Bel écrin

Le phénomène touche aussi la non-fiction narrative, la littérature du réel, épine dorsale des éditions du Sous-sol depuis leur création. Dans la collection "Feuilleton non-fiction", Adrien Bosc a fait découvrir au lecteur français les écrits de Gay Talese, "investigateur du nouveau journalisme à la Tom Wolfe", et la nouvelle traduction du Dernier cow-boy de Jane Kramer, National Book Award 1981. Olivier Cohen réédite en avril Anarchie au Royaume-Uni de Nick Cohn et prévoit un volume réunissant les articles de Jean-Paul Dubois sur les Etats-Unis, qui lui semble d’actualité. Tandis que Tristram est l’éditeur du journaliste gonzo Hunter S. Thompson.

Le tout se fait dans un "bel écrin", sur beau papier ou dans une collection "qui permet de les présenter à l’écart de la littérature contemporaine, de les travailler différemment, de les installer dans le temps", souligne Caroline Ast. Pour Marie Misandeau, "la redécouverte de textes inédits ou oubliés a toujours fait partie de l’ADN de Sonatine. La collection "Sonatine+" est une vitrine qui permet d’attirer l’attention sur certains titres." Le nom des collections - Othello, marque du Nouvel Attila, dédiée aux "livres mutants, aux littératures expérimentales", ou "Les grands animaux" chez Monsieur Toussaint Louverture - démontre leur côté inclassable.

Cependant, les éditeurs sont unanimes : il ne faut pas saturer le marché, et ne publier que quelques titres par an (six en "Replay" ou en "Belfond vintage"), cultiver la rareté et le long terme, "afin que chaque sortie soit un événement". "Ce n’est pas un eldorado. Il faut bien choisir les textes et bien les travailler", insiste Dominique Bordes. Olivier Cohen précise : "Ce n’est pas une question de marketing. C’est le reflet de la vie des éditeurs que nous sommes, des auteurs que nous publions, des questions qu’on se pose sur la société contemporaine."

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