Livres Hebdo - Vous avez été directeur du Motif. Cette expérience va-t-elle vous servir dans vos nouvelles fonctions ?
Vincent Monadé - Avec le Motif, nous avons créé, Yves Frémion et moi-même, un outil qui n’existait nulle part ailleurs et qui a innové avec la formation des auteurs, la formation de la librairie au numérique, le prêt de tablettes numériques en bibliothèque, ainsi que des études, très remarquées. J’ai surtout été auparavant libraire pendant dix ans, expérience dont je garde une réelle appétence pour le livre et une passion pour la librairie indépendante de qualité. Mais je vais devoir me dégager de ces expériences pour entrer dans la logique de la direction d’un grand établissement public national, dans le cadre de la politique définie par la ministre de la Culture et de la Communication.
Quels sont aujourd’hui, selon vous, les principaux défis du monde du livre ?
Le maintien de la librairie indépendante, qui assure un rôle majeur dans la découverte des auteurs et qui tisse du lien social sur son territoire. Aujourd’hui, cette profession est fragilisée par la vente sur Internet mais également par la hausse des loyers en centre-ville et celle des charges fixes.
L’autre grand défi pour le livre aujourd’hui est le numérique. Il faut dissocier la vente de livres papier sur Internet, qui est un combat mené notamment avec la loi sur les frais de port, et la vente de livres numériques, où j’ai la conviction que les libraires ont leur rôle à jouer. Encore faut-il leur en donner les outils et je serai très vigilant sur cette question des outils. Le numérique n’empêche pas la médiation, qui est au cœur du rôle du libraire. C’est une opportunité supplémentaire qui commence à générer un chiffre d’affaires important pour ceux qui s’y sont engagés.
La troisième priorité selon moi concerne les territoires. Je suis un décentralisateur convaincu et je compte faire de la collaboration avec les acteurs en région, les conseillers livre et lecture des Drac et les structures régionales pour le livre une priorité. Ce sera un axe fort de ma politique. L’argent manque, il est vital de faire des économies en travaillant mieux ensemble.
On annonce un décret modifiant les missions du CNL. En connaissez-vous le calendrier et les principaux points ?
Le nouveau décret devrait arriver en mars 2014 pour coïncider avec la constitution du nouveau conseil d’administration du CNL où je souhaite que l’ensemble des professions du livre soient représentées, comme elles l’ont toujours été. Je mettrai l’accent sur les relations interprofessionnelles à travers différents événements que nous organiserons. Ainsi, nos rencontres littéraires se tiendront, autant que possible, chez des libraires. Je souhaite faire du hors-les-murs et que le CNL soit présent en région.
Ne craignez-vous pas que le CNL perde de son autonomie ?
Il ne faut pas confondre l’indépendance et l’autonomie. Le CNL est un établissement public qui a pour mission de mettre en œuvre la politique du ministère de la Culture en lien avec la Direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) et le Service du livre qui sont ses tutelles. Mais il doit également être une force de propositions pour le ministère car il est en lien permanent avec les terrains, et donc en mesure de faire remonter les informations afin d’élaborer des politiques efficaces.
Les libraires attendent avec impatience les aides promises par la ministre, dont certaines transitent par le CNL. Quand pensez-vous débloquer ce dossier ?
Le conseil d’administration exceptionnel du CNL qui aura lieu le 5 novembre portera essentiellement sur cette question avec les deux conventions, celle de 4 millions d’euros pour l’Adelc et celle de 5 millions pour l’IFCIC. Ces dispositifs vont permettre d’apporter une aide rapide à la librairie. A cela, s’ajouteront les 2 millions d’euros supplémentaires prévus dans le cadre du budget 2014.
Qu’en est-il de votre action en direction des éditeurs ?
Il faut aider les plus petits à absorber l’impact de la crise, même si le CNL ne peut pas tout résoudre.
J’ai l’intention de travailler avec les éditeurs indépendants, dont je souhaite la présence au conseil d’administration du CNL, de même qu’avec le Syndicat national de l’édition, qui est un interlocuteur incontournable. Les éditeurs ont montré leur volonté de travailler avec l’ensemble des acteurs du secteur, notamment par leur travail à l’Adelc, qui constitue une véritable politique de soutien à la librairie. Ils sont également engagés dans un dialogue avec les auteurs, même s’il est difficile, concernant les droits numériques. J’attache une grande importance aux auteurs et c’est a la SGDL que j’ai effectue ma premiere sortie officielle. C’est un choix délibéré.Il y a une prise de conscience générale que chacun est membre d’une même chaîne et que si un maillon s’effondre, tout le monde le paiera.
Les bibliothèques font également partie des dossiers importants du CNL. Comment envisagez-vous votre action à leur égard ?
Il y a la convention avec la Bibliothèque nationale de France qui préexistait à mon arrivée et que je n’ai aucune raison de modifier. Pour ce qui est du travail avec les bibliothèques, il est essentiel de maintenir l’intervention du CNL mais peut-être faudrait-il en repenser la forme avec des subventions attribuées à des initiatives innovantes, aux horaires d’ouverture, à la formation, à l’accueil des publics empêchés, plutôt qu’une aide uniquement à l’équipement. J’en parlerai avec les professionnels et notamment avec l’Association des bibliothécaires de France et l’Association des directeurs de bibliothèques départementale de prêt. Les bibliothèques ont un rôle de premier plan dans la lutte contre la fracture numérique. La ministre va constituer un groupe de travail interprofessionnel sur la question du prêt numérique en bibliothèque. Ce sera difficile, mais on y arrivera, dans le respect du droit d’auteur et du droit des éditeurs, comme c’est désormais le cas du droit de prêt sur les livres. Le débat fut houleux, mais aujourd’hui le système mis en place est accepté par tout le monde.
Comptez-vous réformer les commissions du CNL ?
Je vais faire un point sur le travail mené sur cette question par Laurence Franceschini, la directrice de la DGMIC, et Nicolas Georges, directeur du Service du livre. Aurélie Filippetti souhaite que nous créions un collège des présidents de commission que je rencontrerai le plus vite possible d’ici là. Les commissions ont fait la preuve de leur efficacité. Je ferai une réforme seulement si la nécessité apparaît et dans ce cas, ce sera une proposition élaborée en lien avec les présidents et capable de faire l’unanimité.
Le CNL a déjà versé près de 300 000 euros pour des études sur la numérisation des indisponibles. Que pensez-vous de ce dossier ?
Il est trop tôt pour vous répondre. La ministre a affirmé que l’Etat ne fuirait pas ses responsabilités mais qu’il fallait que les éditeurs prennent les leurs. Je vais prendre le temps d’étudier le projet ReLire et d’écouter les souhaits des différents interlocuteurs.
Votre prédécesseur avait développé l’action internationale du CNL. Poursuivrez-vous dans cette voie ?
Oui, mais nous ne disposons pas d’un budget colossal. Je compte donc travailler avec l’Institut français avec lequel il y a un lien à retisser afin de définir le rôle de chacun. Et bien sûr, je me réjouis de travailler avec le Bureau international de l’édition française (Bief) qui fait un travail remarquable. Nous serons à nouveau très étroitement partenaires au prochain Salon du livre de Paris.