Vincent Chabault, spécialiste du commerce et de la consommation : « La seconde main a le vent en poupe »

Vincent Chabault, sociologue et maître de conférences - Photo Olivier Dion

Vincent Chabault, spécialiste du commerce et de la consommation : « La seconde main a le vent en poupe »

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Par Marie Fouquet
Créé le 17.10.2023 à 16h15

À quoi tient selon vous la croissance actuelle du marché du livre d'occasion ?

Vincent Chabault : Les résultats de nos travaux confirment ceux produits par d'autres enquêtes sur des marchés de seconde main comme celui du prêt-à-porter : le premier motif des acheteurs comme des revendeurs est économique, loin devant la raison écologique. Du côté des acheteurs, il s'agit d'acheter moins cher mais aussi de pouvoir acheter davantage de livres. Ou, pour certains, d'avoir accès à prix doux à des collections remarquables et prestigieuses.

Vous parlez de « déqualification du métier de libraire », car les revendeurs d'internet ne sont pas des spécialistes. Que recouvre ce terme ?

Il y a deux types de déqualification. La première définit le mouvement suivant : de plus en plus d'organisations et d'individus opèrent sur le marché d'occasion sans compétence particulière pour le commerce du livre. Un second type de déqualification provient de l'essor des algorithmes utilisés par des grands revendeurs des plateformes pour le tri et la formation des prix. Momox, Better World Books, Recyclivre et d'autres ont mis en place une tarification dynamique qui dépossède les détaillants traditionnels de leurs compétences professionnelles. Lorsqu'ils référencent - souvent à contrecœur - leur assortiment sur les places de marché, ils doivent se conformer aux prix fixés par ces pure players alors que cette opération nécessitait une connaissance des domaines éditoriaux, des éditeurs, des collections qui constituait leur métier. Une libraire lyonnaise me confiait que sa librairie avait été la première à avoir été « ubérisée ». Un libraire d'occasion est devenu en quelque sorte un programmateur informatique qui ne stocke que des livres qui ont encore un potentiel commercial et qui fixe des prix compétitifs.

Qu'en est-il des librairies spécialisées dans l'occasion. Est-ce un marché porteur selon vous ?

La seconde main a le vent en poupe. Le marché est considéré comme une réponse aux contraintes budgétaires des clients et à la crise climatique (ce qui est inexact, l'occasion poussant à la surconsommation !). D'un côté, on pourrait se réjouir de l'ouverture de boutiques physiques. De l'autre, je suis plus dubitatif quant à la pérennité du modèle économique quand on connaît le montant des loyers en centre-ville. Rappelons aussi que près de 60 % des transactions se déroulent aujourd'hui sur les plateformes, parmi lesquelles la très populaire Vinted...

Peut-on imaginer des alliances entre les acteurs traditionnels de l'occasion (bouquinistes, associations, ressourceries, entreprises de l'économie sociale et solidaire - ESS...), les éditeurs et les auteurs, afin de contrer les plateformes de vente en ligne qui captent de plus en plus de parts sur le marché de l'occasion ?

Les plateformes captent de la valeur dans ce marché parce que des vendeurs tiers - les acteurs de l'ESS en tête - y commercialisent leur offre. Mon enquête dévoile plusieurs cas de libraires un peu schizophrènes qui dénoncent l'emprise d'Amazon tout en y référençant leur assortiment. L'audience de la marketplace du géant américain, qui a aussi racheté AbeBooks, spécialisé en livre ancien, est incontournable pour ces revendeurs. L'enquête de la Sofia révèle un élément qui doit aussi attirer l'attention : l'arrivée fracassante de nouveaux acteurs qui encadrent les ventes de livres entre particuliers. Leboncoin bien sûr mais aussi Vinted, qui était encore inconnu il y a quelques années et que l'on croyait dédié uniquement au prêt-à-porter. Les flux entre particuliers prennent de l'ampleur. La revente de livres par les particuliers n'est pas devenue la norme, mais la croissance de ce type de flux dit probablement quelque chose de notre rapport marchand au livre...

Vous rappelez dans votre livre l'origine de l'occasion, en consacrant un grand chapitre aux bouquinistes. Quelles sont les limites de ce que l'on nomme les « livres d'occasion » ?

Mon enquête ne s'intéresse en effet qu'à l'occasion, au « courant » comme disent les spécialistes. Ce livre d'occasion qui ne fait pas l'objet d'une convoitise exceptionnelle, et est recherché avant tout pour son contenu et dont la valeur marchande est dégressive. Si un même détaillant peut parfois commercialiser livres de collection et livres d'occasion, les volumes sont entreposés dans des bacs distincts comme pour rappeler l'écart de valeur.

 

Professeur de sociologie à l'université Gustave-Eiffel (Marne-La-Vallée), Vincent Chabault est spécialiste du commerce et de la consommation, dans le livre d'occasion. Sociologie d'un commerce en transition (PUL, 2022), il restitue son enquête sur les mutations du marché du livre d'occasion. Il est par ailleurs membre du comité scientifique de l'enquête conduite par la Sofia et le ministère de la Culture et de la Communication, dont les premiers résultats, délivrés en avril 2023, seront délivrés ce mois-ci.

17.10 2023

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