La mélodie des couacs. Circé retient Ulysse : elle lui offrira l'immortalité s'il reste auprès d'elle. Mais Ulysse refuse, il veut rentrer à Ithaque, revoir Pénélope, finir ses jours dans son royaume. Car s'il est tentant d'être comme un dieu et jouir des délices du ciel et de la terre éternellement, être mortel parmi les mortels avec tous les inconvénients afférents peut avoir ses moments de grâce. Des instants gracieux parce que pas éternels justement, et d'autant plus précieux. Dans À nos vies imparfaites, Véronique Ovaldé tisse des récits de vies ordinaires pleines de ces couacs qui nous font rêver d'un monde plus harmonieux et qui nous arriment pourtant à la réalité douce-amère de notre existence.

Auguste Palanquin se demande si la déveine ne serait pas héréditaire. Son père, dont le propre père est mort d'une mort improbable, avait appuyé par inadvertance sur le bouton « - 1 ». Adossé aux parois de l'ascenseur qui s'ouvraient de ce côté-là sur le parking, il se brisa la nuque en tombant à la renverse sur le sol en béton. Quitte à être seul et sans bol, le célibataire malchanceux décide de trouver l'appartement idoine à s'isoler pour se consacrer à sa véritable passion : le son. Auguste fait une visite avec une agente immobilière. L'endroit était loin d'être idéal mais la femme plutôt... Rachel perd son mari, son roc. Mort, elle n'eût jamais cru que Charles le fût un jour mais, mort, il l'est bel et bien, et il a fallu organiser des funérailles dignes de ce nom : avec buffet pour les convives endeuillés. La veuve est dans sa cuisine à emballer les reliefs du repas funéraire quand soudain surgit un type, seringue à la main, la menaçant de lui inoculer le sida si elle ne va pas avec lui vider son compte au premier distributeur. Elle parvient à temporiser en proposant à son agresseur un peu de liquide puis de quoi se restaurer. Asseyez-vous !, lui intime-t-elle en ouvrant le réfrigérateur : « On vient d'enterrer mon mari, j'ai le frigo plein. » Interloqué, l'homme obtempère. Deus ex machina. Entre en scène la fille de la voisine, Bob, que Rachel surnomme la fille-barbelés tant elle est revêche. Venue chercher la veste oubliée de sa mère, Bob fait fuir le homejacker. Bob, c'est encore une autre histoire, celle d'une place mal assignée... Couple, amour, solitude, parents défectueux... Ces tranches de « vies imparfaites » déclinent chacune leur motif et se répondent avec des personnages se frôlant parfois à peine, dans des circonstances fortuites, concoctées par l'autrice de La grâce des brigands qui reparaît en poche (Éditions de l'Olivier) à l'occasion de la sortie de ce recueil délicieux.