Les attentats du 13 novembre ont fortement affecté, au moins de la mi-novembre à la mi-décembre, les grandes surfaces culturelles et les hypermarchés, particulièrement dans les grandes agglomérations. Ainsi Cultura, qui a connu globalement une bonne fin d’année, indique une activité en recul pour son magasin de La Défense, très impacté par les attentats. A l’inverse, les librairies ont parfaitement passé la période clé des ventes de fin d’année, comme la vente en ligne. D’après les premières remontées du terrain, l’activité a bénéficié d’une belle progression en décembre par rapport à décembre 2014 dans les librairies indépendantes. Selon l’Observatoire créé en son sein par le Syndicat de la librairie française (SLF), qui rassemble les données de 150 librairies de toutes tailles sur tout le territoire, la hausse atteindrait 5,3 % à un an d’intervalle.
"C’est un résultat très satisfaisant, qui démontre que ce canal de distribution a su installer sa légitimité auprès du public", se félicite Matthieu de Montchalin, président du SLF et propriétaire de L’Armitière, à Rouen, qui a dégagé en décembre une croissance de 10 %. De La Compagnie des livres, à Vernon, au Grenier d’abondance, à Salon-de-Provence, en passant par Martelle, à Amiens, et Le Rouge et le Noir, à Saint-Chély-d’Apcher, pour qui ce Noël "est à marquer d’une pierre blanche", les croissances à deux chiffres ne sont pas rares. A Paris, Sylvie Maillet, qui dirige les cinq librairies Fontaine, annonce une hausse de 10 à 13 %. Une performance d’autant plus notable que 2014 avait déjà été un excellent cru, comme pour Mollat, à Bordeaux, qui égale cette année son record de l’année dernière. "C’était plutôt mal parti, mais nous sommes très heureux de la manière dont s’est terminée l’année, se réjouit Emmanuelle Robillard, directrice projets et qualité de la grande librairie bordelaise. Heureusement que nous vendons du livre, tous les commerces ne sont pas logés à la même enseigne."
Pour les libraires, la qualité du produit livre explique dans une large mesure le dynamisme des ventes. "En temps de crise, le livre reste une valeur sûre, pas si chère que cela, et qui permet de faire de beaux cadeaux porteurs de sens", observe Régine Schir, cofondatrice du Grenier d’abondance. Le bon bilan de décembre traduit également, pour Sylvie Maillet, "l’attachement de plus en plus profond des gens à leur librairie de quartier". Le déplacement des ventes des grandes surfaces vers les magasins de proximité s’est toutefois atténué à l’approche de Noël. Avec son mastodonte parisien, Gibert Joseph annonce finalement "un très bon mois de décembre, qui a permis de retrouver les couleurs perdues en novembre", alors que Jean-Michel Blanc chez Ravy (Quimper) n’a pas bénéficié autant qu’il l’espérait "de l’arrivée des Parisiens lors de la dernière semaine".
La "grosse cavalerie"
Les ventes se sont moins portées sur les livres d’art que sur la littérature, la jeunesse et la BD, un secteur qui a particulièrement attiré les lecteurs. "La grosse cavalerie a bien fonctionné, se félicite Bruno Fermier, délégué général de Canal BD, qui enregistre un + 9 % sur l’ensemble du réseau. Mais elle a aussi laissé la place à de belles surprises telles Zaï Zaï Zaï Zaï de Fabcaro, le dernier Corto Maltese ou encore Le maître d’armes chez Dargaud." En littérature, Delphine de Vigan et Joël Dicker n’ont pas écrasé les coups de cœur des libraires. A La Compagnie des livres, Nathalie Claudel a placé dans ses meilleures ventes La coquetière de Linda D. Cirino (Liana Levi) et Florence Veyrié, de La Maison jaune (Neuville-sur-Saône) et de la Nouvelle librairie Baume (Montélimar) a particulièrement bien vendu les quelque 200 titres qu’elle avait recommandés dans son tout premier catalogue de fin d’année,.
Encore étonnés de ce très bon mois de décembre, qui clôture une année 2015 renouant avec la croissance pour la première fois depuis cinq ans, les libraires se veulent confiants pour 2016, même s’il manque à la rentrée littéraire d’hiver une locomotive comme avait pu l’être Soumission de Michel Houellebecq. "Le mouvement de fond est bien là et il n’y a pas de raisons pour que cela change en 2016, d’autant que nous sommes en année préélectorale, une période traditionnellement porteuse", pronostique Matthieu de Montchalin.