Un illustrateur, un vrai, digne de ce nom, comme son nom ne l'indique pas, n'illustre pas. Car, même s'il interprète visuellement les mots d'un auteur, il crée à son tour une œuvre plastique à part entière. Ainsi de Gustave Doré pour le Don Quichotte de Cervantès, ou d'Aubrey Beardsley pour Salomé d'Oscar Wilde. Parfois l'illustrateur traduit une simple phrase, une idée qu'il a en tête.

Né en 1863 à Lausanne, Félix Vallotton, à peine âgé de 16 ans, part pour Paris où il s'inscrit à l'académie Julian. Ses premières xylographies sont exposées en 1891. Il peint beaucoup, des portraits, des paysages ; en 1893, il rejoint le groupe des Nabis, ces nouveaux « prophètes » du postimpressionnisme, dont fait partie Edouard Vuillard qui deviendra son ami.

Dessin, peinture gravure... quoi qu'il fasse, Vallotton est chaque fois raconteur d'histoires, ou plutôt instigateur de fictions. Il a l'art d'intriguer en nous plongeant dans une atmosphère en suspens. Ici, il s'agit de L'assassinat, un crime passionnel sans doute : tout ce qu'on voit est un corps sur un lit, en costume sombre, qui couvre un autre corps dont on ne discerne qu'une main qui repousse l'assaillant. Les visages sont occultés par le pied du lit, en l'air un bras armé d'un couteau est prêt à s'abattre. Là, un couple sur un lit, assis et enlacé, l'homme a les yeux fermés, un sourire aux lèvres, la femme a lové son visage dans le cou de son amant, titre de la gravure : Le mensonge. Qui ment à qui ?

Vallotton légende l'image, et suscite toujours l'interrogation, il instille le doute et nous invite à imaginer la suite ou l'avant. Dans Intimité(s), où est superbement reproduite aux éditions Martin de Halleux la série des gravures sur bois, du même nom parue dans La Revue blanche, revue d'avant-garde où l'artiste helvète collabore en tant qu'illustrateur de 1895 à 1900, Vallotton est au sommet de ses recherches graphiques. Effets d'ombre et de lumière contrastés, fruit d'une géniale utilisation de la xylographie.

Pour ces images, dont certaines inédites depuis leur édition originale, le présent éditeur a demandé une préface à un coutumier d'histoires au charme policier, et qui vient de signer La clé USB (Minuit) : Jean-Philippe Toussaint. Chez Vallotton, l'économie du trait dramatise l'enjeu de la scène, point de fioritures, mais de grands aplats noirs où se fond le noir des habits des personnages ou du tissu des meubles. Comme dans L'argent où l'encre mange plus de la moitié du dessin, c'est l'invisible rendu visible dans son opacité, l'ineffable des moteurs cachés, voire inconscients, d'un acte.