Elle est là sans y être. Là, c’est un bout du monde, de tous les mondes possibles. Le gigantesque complexe aéroportuaire de Roissy Charles-de-Gaulle. Là, il y a des avions et des couloirs, des boutiques et des départs, des retours différés et des salles d’attente. Et au milieu de ce désastre, de ce désordre, une femme. Une femme en transit qui pourrait s’apprêter à rejoindre Milan, Sydney, Dubaï ou Montevideo… sauf que non. Cette femme, moins invisible qu’"inenvisageable", traînant derrière elle une valise, est de celles qui ne partent pas. Et n’attendent rien ni personne. Elle est là voilà tout, sans mémoire, sans avenir, sans passé, offerte avec méfiance aux jours qui passent, refusant toute assignation à résidence, surtout celle de SDF. Du matin au soir, en mouvement pour déjouer les questions indiscrètes et éviter d’attirer l’attention, jusqu’à la nuit, où elle rejoint, dans le labyrinthe des réseaux souterrains serpentant sous Roissy, un certain Vlad, guère plus défini qu’elle. Elle parle aux uns, aux autres, chaparde un peu, se laisse offrir quelques babioles et offre à la nuit des cauchemars indécis où surgissent des images terribles, l’écho de voix lointaines, qui pourraient faire retour depuis ce passé dont elle ne veut plus rien savoir. Et puis un jour, et bientôt chaque jour, un homme. Un homme qui attend le Rio-Paris qui aurait dû atterrir des années plus tôt. Un homme comme les autres, qui la voit et, mieux qu’aucun autre, la regarde. Ils se reconnaissent avant de se connaître.

Roissy, ces petits humains égarés en une zone de transit qui n’est vraiment nulle part, c’est un monde en soi. Celui du roman de Tiffany Tavernier, qui fait avec lui son entrée en fanfare sous la bannière de Sabine Wespieser. C’est une manière de tour de force romanesque que de parvenir ainsi à tenir la note juste en s’attachant aux chagrins et aux jours d’une femme indéfinie. Ce livre est foncièrement politique sans jamais se perdre dans la démonstration. C’est une proposition, une proposition de départ. Olivier Mony