Journaliste littéraire et écrivaine reconnue au Québec, Martine Desjardins est l'auteure de plusieurs livres remarqués. Son roman Maleficium, publié à l'origine en 2009 chez Alto, son quatrième, est le premier à paraître en France. C'est la révélation d'une inspiration totalement hors du temps, d'un vrai talent, d'une écriture envoûtante.

On est au XIXe siècle, à Montréal, dans le confessionnal d'une église où un prêtre, apparemment non exempt lui-même de tout reproche, recueille les confessions de sept de ses ouailles. Des hommes dont les histoires présentent de nombreux points communs. Partis vers les lointains (Srinagar, Zanzibar, Lalibela, Shibam, Oman, Chiraz, Naplouse) pour des raisons professionnelles, ils y ont fait des découvertes fabuleuses, mais aussi rencontré une femme, une ensorceleuse défigurée par un bec-de-lièvre qui les a entraînés dans de bien curieuses mésaventures, et leur a infligé ce qui ressemble à des châtiments.

L'un, négociant en safran, a perdu son nez, un autre, médecin concupiscent, s'est vu fouetté par une queue de macaque qui a laissé sur son corps des marques indélébiles, le suivant, entomologiste, a dû héberger une larve de locuste dans son nombril, un autre encore, le "roi du savon", n'a pu ôter de sa peau les traces noires laissées par la pâte la plus magique du monde, obtenue à partir des sécrétions du corps humain, raclées avec un antique strigile...

Tout cela est bien mystérieux, et chacun des pénitents met en garde le curé, si d'aventure la femme venait hanter les environs. Comment ne pas redouter une créature qui porte une queue de singe amovible, donne l'asile dans sa chair à une locuste troglobie, pleure des larmes d'écailles bien plus belles, bien plus blondes que celles des tortues, ou fabrique du savon rien qu'en transpirant...

Mais existe-t-elle réellement, ou bien n'est-elle que l'invention de sept cerveaux malades, attaqués par quelque affection contractée sous les tropiques ? On ne l'apprendra que tout à la fin, grâce à la propre confession de cette femme en colère. Et c'est l'explication de sa vengeance qui donne tout son sens à ce roman à rebours, dans sa construction et son inspiration, de tout ce qui s'écrit aujourd'hui. Fantastique, érotisme, exotisme et esthétisme, Mandiargues aurait adoré.