Jeffrey Eugenides a toujours pris son temps. Révélé par Les vierges suicidées (Plon, 1995, repris en J'ai lu), porté à l'écran avec grâce par Sofia Coppola sur une bande-son de Air, l'Américain avait ensuite raflé la mise avec Middlesex (L'Olivier, 2003, repris en Points). Un ample roman couronné par le prix Pulitzer qui racontait l'histoire exubérante d'une famille relativement hors du commun sur trois générations.
Depuis, le natif de Grosse-Pointe, une banlieue de Detroit, avait gardé le silence. Le revoici aux affaires avec un nouvel opus d'un fort tonnage, Le roman du mariage, où l'on ne reconnaît pas de prime abord sa patte. L'histoire démarre en 1982, à Providence, au sein de l'université de Brown. Jolie brune, Madeleine Hanna a 22 ans et s'apprête à recevoir son diplôme de fin d'études. Surnommée Mad ou Maddy, elle est la fille cadette des Hanna, une famille de Prettybrook dans le New Jersey.
Alton, son père, est un ancien président d'université à la retraite, qui prend un malin plaisir à la battre au tennis en la déstabilisant. Phyllida, sa respectable mère, a tendance à porter des tenues de dame patronnesse. Quant à Alwyn, sa soeur aînée en pleine crise conjugale, elle vient d'avoir un bébé. Un petit garçon qu'elle a laissé avec son mari et à qui elle expédie des biberons remplis de son lait maternel !
Madeleine se trouve à un moment charnière de son existence. Elle a étudié la sémiologie dans des cours où elle entendait parler de Barthes et de Handke, et pense attaquer un mémoire de deuxième cycle sur le roman matrimonial, de Jane Austen à John Updike - dont elle a parcouru Couples en cachette à l'âge de 11 ans.
Avec les garçons, la situation n'est pas simple. La demoiselle a d'abord eu une histoire avec Billy, relation où le sexe était "confortable, douillet, tout à fait commode". Puis une autre avec Dubney, "blondinet taciturne" à l'évidente perfection physique. Avant de tomber amoureuse de Leonard, un adepte du tabac à chiquer, qui semble souffrir de psychose maniaco-dépressive. Sans oublier la présence de Mitchell, qui s'intéresse à la théologie et rêve de l'épouser...
Jeffrey Eugenides s'empare avec brio du campus novel, du roman de formation, tout en rendant un fier hommage au roman victorien si cher à son héroïne. Avec brio, il montre l'évolution de Madeleine, de Leonard et de Mitchell, emmenant pour cela le lecteur à Paris, à Monaco ou à Calcutta. Difficile de ne pas être emporté par le souffle, la profondeur et l'humour dont il fait ici preuve. Très bon pour les détails, les scènes inattendues, Eugenides suit les pas d'un trio de personnages incarnés dont il creuse la psychologie et questionne les fêlures. Espérons juste qu'il mette ensuite moins d'une décennie avant de signer un nouveau livre !