2 janvier > Roman France

Philippe Sollers- Photo CATHERINE HÉLIE/GALLIMARD

Né à Bordeaux, ville qui demeure l’une de ses passions, le narrateur parisien - qui écrit tantôt « je », tantôt « il » quand, surnommé « il Professore », il est vu par les yeux des autochtones, tantôt encore « vous » lorsqu’il prend de la distance avec lui-même - se plaît à vivre à mi-temps à Venise. Locataire d’un petit appartement dans un quartier populaire, histoire de rester au contact des «vrais gens» de la Sérénissime, et de ne pas coudoyer les hordes de Chinois qui débarquent par paquebots entiers. Qu’on ne s’alarme pas, ils repartent aussi sec !

Ecrivain vieillissant, solitaire et atrabilaire, il a ses habitudes à La Riviera, pizzeria authentique bientôt tenue par la belle Loretta, aux charmes de qui il ne demeure pas insensible. On n’est pas de bois, quoi. Mais en tout bien tout honneur : la nouvelle patronne épouse son Gianni, et « il Professore » est même invité à la noce. De toute façon, pour la bagatelle, il dispose des services d’Ada, une masseuse et plus si affinités, qu’elle lui dispense généreusement chaque jour.

Ceci fait, il passe son temps à écrire, à lire et relire sans cesse ses classiques : son compatriote Montaigne, grand esprit mais homme superstitieux, dévoué à Notre-Dame-de-Lorette, Voltaire et Heidegger assaisonnés à la sauce « light » par Wikipédia, Sade et Lautréamont, ses chouchous, Proust, autre Vénitien de cœur, ou encore Saint-Simon. Surtout Saint-Simon, son maître à penser, son collègue en misanthropie, qu’il cite abondamment. Il visite aussi pas mal les églises - mais pas celles des touristes -, comme San Sebastiano, près de chez lui, la dernière demeure de Véronèse.

La trame romanesque de Médium est, on l’aura compris, ténue, et pas vraiment révolutionnaire par rapport au reste de l’opus sollersien. On y retrouve beaucoup de ses fondamentaux. Mais le cœur du livre est constitué d’un chapelet de considérations sur l’époque, le monde actuel. Pas vraiment amènes, of course.

Le double de Philippe Sollers a tendance à se considérer comme le seul esprit sain, un « contre-fou » dans un monde en folie, dont certaines pratiques semblent l’obséder : les greffes d’organes, le trafic des tissus humains, par exemple, ou l’homosexualité. On relève même certains passages bien réacs sur la drague via smartphone, la techno, la « Gaytto Pride », ou le mariage pour tous. Parmi ses autres bêtes noires, en vrac : les profs, les galeristes, les philosophes, les faits-divers… Sans oublier les éditeurs : « on publie de plus en plus, ou plutôt on poublie ». Et les journalistes : « Dans la presse imprimée, bourrée d’erreurs non sanctionnées, vous êtes obligé de réécrire vos interviews, qu’on vous livre en bouillie illisible. » On atteste que ce ne fut pas le cas dans Livres Hebdo

Tempus fugit, y compris pour Philippe Joyaux, alias Sollers, romancier-prodige dès 1958 avec Une curieuse solitude (paru au Seuil). Depuis, il a fait son œuvre considérable et, forcément, inégale. J.-C. P.

 

Les dernières
actualités