22 août > Roman Suisse > Matthieu Mégevand

Depuis quelques années, le Grand Jeu, seul mouvement d’avant-garde littéraire du début du XXe siècle qui ait pris en compte les religions et spiritualités orientales, hindouisme, bouddhisme, suscite un regain d’intérêt chez de jeunes écrivains, fascinés par sa brièveté, sa radicalité, son absence de concessions, et la personnalité de ses membres: Robert Meyrat (vite récupéré par la vie "normale"), Roger Vailland, trop individualiste pour jouer longtemps collectif, et, surtout, René Daumal et Roger Gilbert-Lecomte, qui fut le porte-étendard le plus emblématique du mouvement, jusqu’à ce qu’il se laisse dévorer par ses démons.

Les quatre garçons s’étaient rencontrés au lycée à Reims, lorsqu’ils préparaient le bac, s’étaient trouvés, reconnus en tant que "phrères simplistes". Puis ils sont "montés" à Paris, persuadés qu’à eux seuls ils révolutionneraient la littérature, dominée par Breton et ses surréalistes avec qui ils ont entretenu des rapports compliqués. Matthieu Mégevand met en scène deux de leurs rencontres, dont l’auteur de Nadja ne ressort pas à son avantage. C’est sans doute exagéré, car Gilbert-Lecomte, contrairement à Daumal, plus policé (c’est même à cause de cela qu’ils rompront, au début des années 1930, et ne se reverront pas pendant dix ans), semble avoir été un être à la fois séduisant et totalement insupportable.

Dandy alcoolique et provocateur, toxicomane esclave de toutes les drogues - opium, morphine puis héroïne. Jusqu’à mourir du tétanos, par suite d’une injection sans hygiène, le 31 décembre 1943. Il avait 36 ans, et publié seulement un recueil, en 1933, La vie l’amour la mort le vide et le vent, tout un programme existentiel. Son phrère, d’un an son cadet, ne lui survivra que quelques mois.

Solidement documenté, notamment par des extraits de lettres, des textes et des poèmes de Gilbert-Lecomte, ce roman vrai inspiré ressuscite un poète maudit qui se rêvait Rimbaud, et finit plutôt dans une déchéance verlainienne, à qui fait penser son poème La bonne vie, l’un de ses derniers: "Je mourrai comme un vieux/Je mourrai comme un porc/Je mourrai comme un dieu/Je mourrai comme un mort/Et ce sera tant mieux."J.-C. P.

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