7 septembre > Roman Espagne

C’est une Simca couleur cerise qui roule, solitaire, sur la route des souvenirs. La belle affaire. A son bord, un enfant d’une douzaine d’années, sa famille et un soldat. Cet étrange équipage chemine dans le dos noir du temps, les années 1960, et au centre du monde, une île posée sur la Méditerranée, Majorque. L’enfant est sur le chemin des vacances, une garnison militaire au sud de l’île, dont son père, lieutenant-colonel, assure chaque été le commandement. Alors que le monde s’apprête à basculer et sans doute son enfance aussi, il retrouve là-bas mieux que la douceur de la permanence des choses, la consolation d’un sentiment (c’est-à-dire d’un paysage) d’éternité. Nulle menace sur cet éden austère. Juste les plaisirs et les jours d’une enfance à jamais préservée. Se baigner, pêcher, lire, cuisiner, comme autant d’épiphanies aussi secrètes qu’universelles.

Devenu écrivain, donc resté un peu enfant, José Carlos Llop se souviendra de ces temps où l’écriture n’était pas encore entrée dans sa vie. Solstice, son septième livre traduit en français depuis Parle-moi du troisième homme (Jacqueline Chambon, 2005), est le roman, merveilleusement délié, de ce souvenir. Gageons qu’en des semaines de rentrée littéraire qui font plus volontiers place aux œuvres performatives et au bruit et à la fureur, la musique de chambre de ce volume gorgé de tristesse autant que de bonheurs enfuis saura trouver son lecteur pour ne plus le quitter. Solstice est non seulement le "pendant" intime et secret du vaste Dans la cité engloutie (Jacqueline Chambon, 2013), tentative d’épuisement poétique, érudite et charnelle, de la ville et de l’île natale de l’auteur ; mais aussi marque une vraie inflexion dans le travail de romancier de Llop, dont les jeunes éditions Do s’apprêtent à publier en novembre un recueil poétique, La vie différente.

Jusque-là, cet écrivain discret, dandy, volontiers cosmopolite, était au roman espagnol, selon l’expression de Jacques-Pierre Amette, ce que Modiano est au roman français : "une mystérieuse corne de brume". Cette fois-ci, les brumes se dissipent dans le récit le plus solaire, le plus "ligne claire" qu’il ait jamais publié. Au bal des souvenirs, c’est d’abord la figure, austère et d’une infinie noblesse, du père qui se détache. Peu à peu, d’autres "voix dans le jardin" se font entendre, la mère et le frère bien sûr, mais aussi une femme qui lit Mauriac et Maurois, un homme qui ressemble un peu à Clark Gable, une Triumph rouge décapotable, un oncle qui aime la course automobile, les romans à deux sous de Karl May, des lettres venues d’Argentine…

Mais déjà, voici venu le temps de remonter dans la Simca de l’officier d’ordonnance du père pour faire la route dans l’autre sens. Qu’importe, José Carlos Llop est un magnifique écrivain qui sait qu’à Majorque où ailleurs "il n’est pays que de l’enfance". Olivier Mony

24.08 2016

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