Livres Hebdo : France Inter, deuxième radio de France, comment l'expliquez-vous ?
Laurence Bloch : C'est stimulant et cela prouve que nous ne nous sommes pas trompés. Nous avons fait en 2014 le pari d'une grande chaîne populaire et culturelle. Le fait que nous rassemblions autant d'auditeurs avec des programmes éclectiques, exigeants et parfois savants, est extrêmement réconfortant.
France Inter, c'est toujours la différence ?
L. B. : Les gens se retrouvent dans une famille. Il y a un esprit, un ton, une griffe. C'est comme une maison de couture, c'est un travail d'artisan, ce n'est pas de la grande distribution de contenus. Quand on écoute France Inter, il y a une cohérence dans l'écriture radiophonique, dans la manière de voir le monde, qui peut aussi énerver. Mais que ce soit Augustin Trapenard, Laure Adler, Emmanuel Khérad ou Nagui, ils sont impliqués dans l'émission qu'ils font, ils sont curieux, joyeux et bien dans leur époque.
C'est aussi une continuité. La grille a peu changé.
L. B. : Comme ça marchait, nous n'avons pas bougé grand-chose hormis les deux tranches d'info en 2017. Je me pose beaucoup de questions sur la prochaine rentrée. Je veux plutôt aménager que changer. S'il n'y a pas d'événements extérieurs, 80 % de la grille restera intacte. Mais les auditeurs ont besoin d'avoir des choses qui les surprennent et qui les concernent.
Votre auditoire a aussi rajeuni.
L. B. : Nous avons gagné 400 000 auditeurs dans la tranche d'âge 35-49 ans, qui est la cible de la station. Nous les avons séduits parce que nous avons introduit de l'humour et que nous avons mis à l'antenne toute une nouvelle génération. Nous disséminons aussi beaucoup cette radio filmée sur les réseaux sociaux.
Vous disséminez également le livre un peu partout dans la grille.
L. B. : Nous avons énormément d'auteurs invités, toutes émissions confondues. Nous demandons au 7-9 de recevoir des écrivains. La singularité de la matinale est de s'ouvrir à la littérature, aux arts et aux idées. Nous devons rester une radio de l'offre avec des choix éditoriaux assumés et nous devons rendre la culture audible, accessible et désirable. C'est un facteur de richesse qu'il faut défendre. Et, selon moi, pour dire l'état du monde, je pense que rien ne vaut un écrivain et un roman.
Quelles sont les règles en matière d'invités ?
L. B. : Les invités qui sont dans l'actualité passent au maximum trois fois. Evidemment, pendant la rentrée littéraire, tout le monde veut les mêmes auteurs. Ce sont un peu des batailles d'ego.
Qui arbitre ?
L. B. : C'est la direction, avec deux critères : les carrefours d'audience parce que c'est très important pour une chaîne généraliste d'être fédératrice. Mais il faut aussi donner le sentiment à tous les producteurs que leurs émissions apportent quelque chose de singulier. Donc, de temps en temps, la primeur d'un invité important va à une émission de soirée ou de week-end. Je fais très attention à ce qu'il y ait parfois un petit accroc dans le principe de priorité au 7-10.
Mais vous avez conscience du pouvoir prescripteur de chacun ?
L. B. : Il y a une puissance de prescription parce que nos auditeurs nous font confiance. Ils savent que les talents de la chaîne aiment le livre et les idées, de Nicolas Demorand à Kathleen Evin. C'est un assortiment de producteurs qui reflètent un large spectre de l'écrit.
Vous êtes comme une éditrice finalement ?
L. B. : Absolument !
Une éditrice qui a ses propres prix littéraires...
L. B. : Oui. Il y a le prix du Livre Inter. Prescripteur, il repère de jeunes auteurs, comme David Lopez. Puis on a le prix du Livre étranger avec Le JDD, parce que l'un des marqueurs de la chaîne, c'est l'international. Pour affirmer le fait que la culture nous intéresse et que l'avenir du monde nous concerne, nous avons créé ce prix il y a trois ans. Nous commençons à sentir ce qu'il peut être. Après Hisham Matar [La terre qui les sépare, Gallimard] et Paul Auster, qui n'avait pas besoin de nous, nous sommes tombés exactement où il fallait avec L'empreinte d'Alexandria Marzano-Lesnevich [Sonatine]. Nous avons primé un livre qui n'aurait pas trouvé son chemin vers les lecteurs sans le prix. Celui-là est imposé à Augustin Trapenard, il n'a pas le choix !
Et vous vous diversifiez, notamment avec ce nouveau prix de la BD avec la Fnac.
L. B. : Avec l'arrivée d'Antoine de Caunes, j'ai été convaincue par un prix de la Bande dessinée. Tout une nouvelle génération d'auditeurs lit des romans graphiques, des albums de BD. C'est aussi pour cela que nous avons lancé en 2017 « Popopop », qui parle de 9e art, de science-fiction ou de séries.
Pourriez-vous développer autrement ces genres mal représentés dans les médias ?
L. B. : Nous sommes en train de travailler sur des adaptations radiophoniques de BD et de SF, sur des formats courts et quotidiens, que nous éditerions en livre audio.
Et pour la jeunesse, vous avez lancé à la rentrée le podcast « Oli ».
L. B. : Les podcasts font du succès sur les émissions de stock et d'humour. Ensuite, ce sont les chroniques et les émissions qui apprennent en s'amusant, le gai savoir. J'espère qu'on va pouvoir lancer un podcast natif sur le genre. « Oli », qui est dans l'esprit d'Inter, est numéro un sur iTunes. Nous venons d'atteindre le million de téléchargements. Il faut qu'on le valorise davantage. Nous allons même chercher à l'éditer avec un livre illustré.
Vous avez un éditeur ?
L. B. : Secret industriel.
Un éditeur auquel vous êtes fidèle, c'est Les Equateurs.
L. B. : Les ventes d'Un été avec Homère m'ont enchantée pendant tout l'été. On ne cherche pas forcément à faire de cartons. Il y avait La Fontaine à 7 h 55 et Homère le samedi. Et c'est celui qui était moins exposé qui a séduit le plus de lecteurs. On voit alors notre puissance prescriptrice. Cela explique pourquoi beaucoup d'éditeurs viennent frapper à ma porte. Mais « Un été avec », c'est Olivier Frébourg et Les Equateurs. Avec les autres, nous pouvons faire quelque chose, mais pas ça.
Quelle sera la série de cet été ?
L. B. : Cela devrait être Antoine Compagnon et Pascal.
Cette diversification va-t-elle aller plus loin ?
L. B. : Nous réfléchissons par exemple à développer des cycles de conférences sur le modèle de celles de « Grand bien vous fasse », qui attire un public dont 40 % n'est pas auditeur d'Inter. Le prochain cycle, mais je ne peux pas vous en dire plus, pourrait être autour du livre, avec un producteur emblématique de la chaîne et un invité charismatique.
Côté festivals, vous voulez aussi être plus présents dans le livre ?
L. B. : En dehors de Livre Paris, je voudrais que nous soyons sur deux salons dans l'année. Nous ne faisions que Le Livre sur la Place à Nancy, mais j'aimerais en faire un autre.
Cela fait de France Inter une marque presque multisupport.
L. B. :Toutes ces déclinaisons - le week-end du livre, les livres de François-Régis Gaudry [chez Marabout] qui sont traduits aux Etats-Unis et au -Japon, le prochain livre de Guillaume Gallienne fin mars - donnent de la puissance. Cela fait comme une caisse de -résonance qui porte les programmes radios, et le livre est au centre de tout ça. Ce sont des cercles concentriques qui se renforcent les uns les autres.
Comment voyez-vous la radio de demain ?
L. B. :Ce qui nourrit aujourd'hui l'espace digital, ce sont les émissions de l'antenne. Mais il y a ce nouveau marché des podcasts avec Sybel, Magellan, Amazon ou Apple. J'ignore comment ils vont faire trembler le marché. Mais personne ne le sait, au fond.