Et si Guillaume Apollinaire n'était pas mort de la grippe espagnole - et peut-être aussi des suites de sa blessure à la tempe, au Chemin des Dames, le 17 mars 1916 -, le 9 novembre 1918, soit juste avant la victoire sur « le Boche » et la liesse populaire qui s'ensuivit ? Ainsi que le rappelle sa biographe Laurence Campa, qui lui consacre une précieuse anthologie illustrée par des peintres qu'il aimait et soutint (Tout terriblement, Poésie/Gallimard), lors de son enterrement au Père-Lachaise, la foule criait encore des « A mort Guillaume ». Il s'agissait bien sûr du Kaiser Guillaume II.
Mais l'anecdote, hautement symbolique, est révélatrice de l'espèce de scoumoune qui l'a poursuivi durant sa courte vie, 38 ans. On n'ose imaginer ce que son œuvre, déjà vaste et diverse, serait devenue.
Chez lui, tout faisait œuvre. Ainsi sa liaison avec celle qu'il appelle Lou, la comtesse Geneviève Marie-Louise de Pillot de Coligny (1881-1963), dont on publie aujourd'hui une quarantaine de lettres, cartes postales ou billets à Apollinaire, retrouvés dans une collection privée. Leur histoire n'a duré que de la mi-septembre 1914 au 28 mars 1915. Ils ne se sont vus que quelques fois, durant les permissions du brigadier-artilleur. Mais ils se sont écrit jusqu'au 8 janvier 1916. Dernière lettre connue, où elle qualifie son « Gui », son « vieux lapin », de « petit mufle », après lui avoir déclaré : « Tu resteras mon grand ami de toujours. » Coquine, libertine à tendances masochistes, volage, elle l'a harcelé de relances, de reproches, de minauderies jalouses. Mais le personnage est fascinant, romanesque, véritable aventurière qui fut aussi aviatrice.
Avec les artistes, Apollinaire, qui avait l'œil absolu et a été le précurseur de la modernité (c'est lui qui a célébré le cubisme, les arts premiers, « inventé » le surréalisme), a eu plus de chance. Il a été l'ami des plus grands, qui l'ont parfois illustré. Ainsi Louis Marcoussis (1878-1941), doublement, mais son travail était demeuré quasiment inédit. Tel son exemplaire, unique, de l'édition originale d'Alcools de 1913, entièrement rehaussé d'aquarelles entre 1919 et 1931, où il se glisse littéralement dans les blancs laissés par la typographie. Et encore cette suite de gravures à l'eau-forte, de 1934, tirée à un très petit nombre d'exemplaires, pour les bibliophiles. Le tout est publié aujourd'hui dans un coffret, avec une étude par Jean-Marc Chatelain, directeur de la réserve des livres rares de la BNF.
C'est une véritable révélation : du côté d'Apollinaire, pourtant illustre et très étudié, il y a encore et toujours des découvertes à faire, majeures.
Lettres à Guillaume Apollinaire
Gallimard
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 12 euros ; 128 p.
ISBN: 9782072818738
Alcools - Illustrations par Louis Marcoussis
Gallimard, Bibliothèque nationale de France
Tirage: 4 500 ex.
Prix: 35 euros ; 208 p.
ISBN: 9782072792717