Des sept péchés capitaux, c'est le moins avouable. L'envie a une mauvaise réputation et personne n'ose déclarer y céder. Dans un essai audacieux, Elena Pulcini a enquêté sur cette "passion triste" qui nous tire vers le bas, tout près de la dépression et pas très loin du ressentiment. Philosophe, professeure à l'université de Florence, elle a déjà signé en français, chez Champion, un essai sur Rousseau (Amour-passion et amour conjugal : Rousseau et l'origine d'un conflit moderne, 1998). Il y était déjà question en filigrane de cette disposition qui rend malheureux.
Car l'envieux est rarement joyeux. Il souffre non seulement de ce qu'il n'a pas, mais surtout de ce que les autres possèdent. Dans une époque qui glorifie le profit et la consommation, l'envie n'a jamais été aussi présente. Bien mieux, elle est constamment suscitée par les nouveaux modèles de Machin ou les ultimes versions de Truc.
Comment est-on passé du désir d'être à celui d'avoir ? Elena Pulcini refait le parcours. Elle convoque les penseurs, de Platon à ?i?ek, explique en quoi ce "vertige du manque et de la peur" tisse un lien avec la superstition populaire du "mauvais oeil" et combien le "germe de l'envie" s'épanouit dans la comparaison et la proximité. On n'envie pas ce que l'on n'aura jamais, mais ce qu'on aurait pu avoir.
Dans une impeccable démonstration, l'auteure montre comment cette "morsure" qui ne se satisfait de rien débouche sur le ressentiment social, la haine de l'autre et combien les conséquences de l'envie, "le seul vice sans plaisir", sont dévastatrices dans nos sociétés.