Toujours plus. Avec 12 476 nouvelles traductions, la part des traductions dans l’ensemble de la production de nouveautés et de nouvelles éditions en France s’élève en 2016 à 18,3 % d’après nos données exclusives Livres Hebdo/electre.com. Une progression sensible par rapport à 2015 (17,7 %), et plus encore par rapport à 2008, où nous avons créé ce nouvel indicateur (14 %). De fait, l’an dernier, le nombre de traductions a progressé de 5,3 % quand l’ensemble de la production de nouveaux titres n’augmentait, elle, que de 1,5 %.
L’anglais demeure, et de loin, la principale langue traduite. Cependant, si elle a augmenté entre 2008 et 2013, où elle a atteint 60,2 %, sa part dans l’ensemble des traductions ne cesse de se réduire depuis, se fixant à 57,6 % en 2016 contre 58,1 % un an plus tôt. En 2016, on a aussi vu des augmentations sensibles des parts du japonais (de 12,1 % à 12,5 %), de l’italien (de 4,4 % à 5 %), de l’espagnol (de 3,2 % à 3, 4 %), entre autres, tandis que s’effritaient celles de l’allemand (de 6,4 % à 6,2 %) et des langues scandinaves (de 2,1 % à 1,9 %). Ces dernières avaient déjà reculé en 2015. En 2016 également, la chute du nombre de traductions de romans policiers, de 80 à 68 (- 17,6 %) contribue à l’essentiel de la baisse.
La progression des traductions du japonais s’explique non seulement par la hausse de la publication de mangas (+ 6,1 %), mais aussi par le développement des traductions de livres d’éveil et de fictions pour la jeunesse. Celle de l’italien repose sur une forte hausse des adaptations de fictions pour la jeunesse (+ 57 %) et plus encore des documents pour la jeunesse, qui passent de 3 à 25, mais aussi dans les domaines du christianisme (+ 41,7 %), des sciences sociales, du pratique et du dessin. Les traductions de l’espagnol, elles, se sont plutôt développées en bande dessinée (+ 33 %), en fiction jeunesse, histoire, poésie et théâtre.
La BD traduit plus
Plus d’un tiers des traductions de 2016 (34,9 %) sont parues en poche. D’un secteur éditorial à l’autre, tous formats confondus, la part des traductions dans la production de romans continue de s’effriter, de 40,6 % en 2015 à 40,4 % en 2016. Un roman traduit sur quatre est traduit de l’anglais (75,4 %, contre 74,6 % en 2015). La bande dessinée s’impose comme le secteur le plus traducteur (42,5 % en 2016, contre 40,5 % l’année précédente). Hors mangas, la part des traductions en BD atteint déjà 21,4 %, avec de fortes hausses de l’anglais et de l’espagnol. En jeunesse, la part des traductions est stable à 18,2 % l’an dernier contre 18,3 % en 2015. Elle a surtout progressé sur les segments de l’éveil et des documents, alors qu’elle reculait en fiction. Le poids des traductions reste également très important en sciences humaines et sociales (18,1 %). Des petits secteurs très spécifiques se révèlent également très traducteurs comme la psychologie appliquée et le développement personnel (18,3 %). Dans ce secteur, plus de quatre traductions sur cinq sont bien sûr issues… de l’anglais.
F. P.
Voir "Traductions 2015 : une part toujours croissante", LH 1077 du 18.3.2016, p. 26.
Traduire les langues rares, c’est tout un roman
Comment savoir qu’un livre mérite d’être publié s’il est écrit en thaï, en letton ou en batak ? Et où trouver le traducteur qui saura le révéler au public français ?
Si les traductions de l’anglais dominent parmi les traductions de romans étrangers, en plein essor depuis une dizaine d’années, la France est l’un des pays au monde qui traduisent le plus depuis d’autres langues. Certaines maisons ont même fait de la recherche d’auteurs venus d’horizons peu explorés une marque de fabrique. Ils dénichent parfois des perles qui écrivent dans des langues dites "rares", qui représentent environ 8 % des traductions. Mais le chemin est long pour estimer la qualité d’un texte, puis le faire traduire par un traducteur compétent.
Réseau d’informateurs
Premier maillon indispensable de la chaîne, un réseau solide d’informateurs. "Il faut un maillage international d’éditeurs, d’agents rencontrés notamment lors des foires du livre à l’étranger et de bons lecteurs capables de faire remonter un auteur ou un ouvrage notable, explique Raphaëlle Liebaert, directrice de "La cosmopolite", chez Stock, où 60 % des romans qu’elle publie le sont dans des langues autres que l’anglais. Ceux qui jouent un rôle majeur d’un bout à l’autre de la chaîne sont les traducteurs, qui aident à ouvrir de nouveaux horizons littéraires", en proposant des ouvrages qu’ils ont remarqués dans leur version originale.
Pierre Astier, devenu agent littéraire il y a dix ans "pour lutter contre l’invasion anglo-saxonne", recourt également à une "méthode de recherche par cercles concentriques", en particulier depuis l’ouverture du marché français "aux livres issus de pays aux langues rares, qui ont œuvré pour se faire connaître comme la Géorgie, l’Arménie, les Pays baltes ou encore l’Inde du Sud avec sa multitude de langues". Et de souligner que "l’édition en France bénéficie d’un atout de taille avec l’Institut national des langues et civilisations orientales, l’Inalco, qui permet de faire lire et parfois traduire ces livres. C’est une des raisons pour laquelle les catalogues français s’avèrent si riches en traductions "originales" comme le macédonien ou l’indonésien."
Rareté du traducteur
C’est justement pour l’indonésien que Laure Leroy, directrice de la maison Zulma, qui dispose d’un catalogue d’auteurs originaires d’une trentaine de pays écrivant dans une vingtaine de langues, a "longtemps cherché" le traducteur idéal. "Il n’y a pas de langue rare, mais rareté du traducteur", plaisante l’éditrice, qui a découvert la littérature indonésienne par l’intermédiaire de (mauvaises) traductions en anglais. Elle a fini par trouver "une traductrice exceptionnelle, Dominique Vitalyos", qui s’est attelée à l’œuvre de Pramoedya Ananta Toer, une figure majeure des lettres indonésiennes, traduite partout dans le monde mais très peu en France.
Autre auteure initialement non traduite, l’Islandaise Audur Ava Olafsdottir a été publiée pour la première fois en français par Zulma avec Rosa candida, traduit par Catherine Eyjolfsson, et qui a été l’un des plus gros succès de la maison d’édition avec 100 000 exemplaires vendus en grand format, avant les 200 000 en poche chez Points.
Avec une double, voire une triple casquette de dénicheur de textes, de traducteur et parfois d’éditeur, les traducteurs jouent un rôle particulier dans la vie d’un ouvrage traduit. Traductrice depuis trente ans du macédonien, sa langue maternelle, et du serbe qu’elle considère comme sa deuxième langue maternelle, Maria Béjanovska a commencé sa carrière en voulant "faire connaître aux Français l’auteur macédonien Bozin Pavlovski et son Western Australia". Après un an de travail, le livre a été publié par Les Editeurs français réunis (1979), une maison d’édition disparue depuis. "C’était un événement important pour la littérature macédonienne puisque c’était le premier roman d’un auteur macédonien publié en français." Elle récidive en 1988 avec Le dictionnaire khazar de l’écrivain serbe Milorad Pavic, que publie Belfond en 1988. Après un vrai succès en France, Belfond, qui en a acquis les droits internationaux, a cédé les droits de traduction dans 40 langues.
Rosie Pinhas-Delpuech a connu des débuts similaires en traduisant de l’hébreu La mort de Lysanda d’Itzhak Orpaz (Liana Levi, 1988). Directrice de la collection "Lettres hébraïques" chez Actes Sud depuis dix ans, elle se dit "toujours passionnée trente ans après", mais évoque les difficultés liées à une langue jeune comme l’hébreu "en ébullition et jamais figée", qui reflètent également "deux manières de penser qui s’affrontent". "Si la structure de la langue est la même qu’en français, les concepts ne le sont pas car l’hébreu est très littéral." C’est la raison pour laquelle elle va régulièrement en Israël "pour se remplir les oreilles" et "toujours rechercher des textes".
Autre continent, autres problématiques. Marcel Barang, installé à Bangkok depuis près de quarante ans, traduit de grands auteurs thaïlandais en français (et en anglais), notamment Chart Korbjitti (Une histoire ordinaire, Picquier, 1992) et Saneh Sangsuk, figures de la littérature contemporaine de leur pays. "En thaï, comme dans bien d’autres langues dites "rares", la difficulté apparente provient d’une syntaxe différente, de l’absence d’articles et autres outils grammaticaux." Avec le temps, "une connaissance suffisante de la langue permet presque toujours de combler les vides automatiquement", assure Marcel Barang, qui se déclare "contre la pratique consistant à mettre d’emblée les phrases "en bon francais/en bon anglais" et plus encore à changer l’ordre des phrases, ou les tronçonner. Dans ce cas, en bout de course, le style dominant est celui du traducteur, pas de l’auteur".
Liens privilégiés
Aux yeux de Philippe Noble, traducteur de néerlandais et directeur de collection chez Actes Sud, "un des inconvénients liés au fait de travailler sur une langue "rare", c’est qu’il y a généralement très peu de tradition d’études universitaires de la langue et de la culture considérées, donc pas non plus de tradition de la traduction des classiques de cette langue en français".
Des liens privilégiés se nouent souvent entre le traducteur et l’auteur qu’il traduit, qu’"il est parfois indispensable de consulter à propos de l’interprétation d’un passage difficile, ou pour élucider, par exemple, une allusion culturelle obscure, explique Philippe Noble, traducteur de Cees Nooteboom dont il est proche. On peut signaler à l’auteur une petite contradiction ou inconséquence dans le cours d’un roman, chose dont le traducteur est généralement le premier à s’apercevoir. En général, les auteurs en sont reconnaissants." L. J.-G.