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Traductions 2012 : toujours plus !

Traductions 2012 : toujours plus !

Quasi stable en littérature, la part des traductions a en revanche bondi en 2012 dans la production globale de livres, et singulièrement dans les secteurs pratique, jeunesse et BD. D’après nos données Livres Hebdo/Electre, plus d’un livre sur six publié en France est désormais traduit.

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Par Fabrice Piault,
Fanny Taillandier,
Créé le 11.10.2013 à 19h29 ,
Mis à jour le 14.04.2014 à 15h24

Dans le stand J’ai lu au Salon du livre.- Photo OLIVIER DION

On a pu mesurer en 2012 la modération de la production éditoriale, qui n’a crû que de 1,7 % (1). On découvre aujourd’hui que, dans le même temps, la production traduite, elle, a au contraire battu un record. A 11 313 nouveautés et nouvelles éditions, contre 10 226 l’année précédente, elle a fait une percée de 10,6 %, qui vient après des progressions successives de 2 %, 3 % et 8,7 % en 2009, 2010 et 2011. Du coup, tous secteurs confondus, les traductions ont représenté l’an dernier 17,3 % de la production totale de 65 412 nouveaux titres, contre 15,9 % un an plus tôt. Plus d’un livre sur six publié en France est un livre traduit.

Une fois n’est pas coutume, la langue anglaise n’y est pas pour grand-chose. Certes, les traductions de l’anglais continuent de dominer, et elles ont encore progressé de 9 % l’an dernier. Mais leur part dans l’ensemble des traductions se resserre à 58,8 %, soit 1,1 point de moins qu’en 2011 (voir graphiques ci-dessous et page suivante). Le japonais, qui, mangas obligent, reste la deuxième langue la plus traduite en France, progresse en effet plus encore (+ 33 %), toujours essentiellement grâce aux mangas. De même, l’allemand (+ 13 %), l’italien (+ 19 %), le russe, le néerlandais, le portugais ou encore le coréen, qui fait un bond de 61 % grâce aux manhwas.

 

 

Policiers.

Si les traductions des langues scandinaves progressent désormais moins que la moyenne (+ 5 %) et voient leur part dans l’ensemble des traductions s’effriter, à 2,1 %, contre 2,2 % un an plus tôt, le polar reste plus que jamais le moteur de leur croissance en France, avec 93 traductions en 2012, contre 66 en 2011 (+ 40,9 %). Les traductions de romans policiers et d’espionnage expliquent aussi une bonne part des traductions de l’allemand et du portugais quand, à l’inverse, le polar anglophone recule (- 5,2 %).

 

Cependant, dans leur ensemble, avec 3 633 nouveautés et nouvelles éditions, soit tout de même 41,7 % de la production annuelle du secteur (8 704), les traductions de romans stagnent en 2012, et leur part dans l’ensemble des traductions recule de 35,4 % à 32,1 %. Les traductions de polars sont à + 1,4 % ; la fantasy et la science-fiction plongent de 14,7 % tandis que le reste de la production littéraire se situe à + 3,7 %. En littérature, toutes catégories confondues, ce sont encore les langues scandinaves (+ 15 %), l’italien (+ 10 %), le russe (+ 27 %), les langues d’Europe de l’Est (+ 37 %) ou le portugais (+ 72 %) qui progressent, quand les traductions de l’anglais marquent le pas (- 2 %).

Dans les secteurs de la poésie et du théâtre, les traductions progressent moitié moins que la moyenne (+ 5 %). En sciences humaines, elles sont carrément en baisse (- 3 %, à 1 652 nouveautés et nouvelles éditions). En revanche, dans le secteur du livre d’art, le livre traduit se développe au même rythme que tous les secteurs confondus (+ 11 %). Surtout, l’an dernier, les traductions ont littéralement explosé dans les secteurs pratique (+ 32 %), jeunesse (+ 29 %) et BD (+ 29 % également).

La part du pratique dans l’ensemble des traductions grimpe de 3,9 % à 4,6 %. En cuisine et gastronomie, en particulier, le nombre de traductions a augmenté de 67,9 % à un an d’intervalle, à 131 nouveaux titres. Sur ce segment généralement peu traducteur, la part du livre traduit est montée de 4,2 % à 6,9 %.

 

 

Deux tiers de mangas.

Deuxième secteur le plus traducteur après la littérature, la BD a vu sa part dans l’ensemble des traductions se hisser de 11,9 % en 2011 à 13,9 % en 2012. L’an dernier, 31,4 % des albums parus en France étaient traduits, et si les mangas représentaient plus des deux tiers de ces traductions, les autres BD traduites ont crû de 37 % en un an, jusqu’à représenter 14,4 % de la production du secteur hors mangas.

 

Traditionnellement moins traducteur que la littérature ou la BD, le secteur jeunesse enregistre pourtant aussi une expansion très sensible de sa production traduite, surtout en fiction (+ 45,6 %), et la plupart des langues sont concernées. Les traductions, qui assuraient 16,9 % de la production totale de livres pour la jeunesse en 2011, atteignent 20,8 % en 2012. Désormais, en France, près d’un livre traduit sur cinq (18,3 %) est un livre pour la jeunesse. < F. P.

(1) Voir LH 942, du 22.2.2013, p. 16-17.

 

La traduction n’est pas une facilité

 

Les éditeurs traditionnels des secteurs pratique et jeunesse, qui accusent la plus forte hausse de la part des traductions, considèrent le recours aux titres étrangers comme un outil à manipuler avec précaution.

 

Hélène Wadowski, Flammarion : « On parle beaucoup des traductions. Mais leur part dans le catalogue reste plus ou moins constante d’une année à l’autre. »- Photo CHRISTOPHE GRUNER

La hausse spectaculaire de la part des traductions dans les rayons jeunesse et pratique n’est pas le fruit exclusif d’un changement de politique éditoriale des grands acteurs du marché. Elle reflète aussi un effet de masse lié à la création de petites maisons ou de nouvelles collections, qui bien souvent commencent par des titres traduits, façon d’étoffer rapidement leur catalogue.

Les gros éditeurs de pratique, d’Eyrolles - dont Eric Sulpice, directeur éditorial pour les loisirs créatifs, annonce 5 % de traductions en moyenne dans la production annuelle - à Solar qui en affiche « environ un tiers », selon son directeur Jean-Louis Hocq, ont pour leur part le sentiment d’une proportion « stable » de traductions dans l’ensemble, dont les variations sont aléatoires. « Nous sommes effectivement passés de 30 titres traduits en 2011 à 50 en 2012, mais nous n’en prévoyons que 40 en 2013 », souligne Catherine Saunier-Talec, directrice d’Hachette Pratique. En jeunesse, Hélène Wadowski, directrice de Flammarion-Père Castor et présidente du groupe jeunesse au SNE, nuance elle aussi cette hausse : « On parle beaucoup des traductions, car ce sont des succès qui se remarquent. Mais la part de traductions dans le catalogue reste plus ou moins constante d’une année à l’autre. » Christophe Savouré, responsable éditorial de Fleurus Pratique et Jeunesse, Mango Pratique et Jeunesse et Rustica, estime que « la part des traductions est de 10 à 15 titres par an pour Mango Jeunesse, mais il n’y en a pas eu 15 en 2012 », le catalogue Fleurus jeunesse étant, lui, constitué exclusivement de créations.

Eric Sulpice, Eyrolles : « Quand un livre est destiné à être publié dans toutes les langues, il y a malgré la qualité une sorte d’uniformisation des goûts. »- Photo OLIVIER DION

Le choix de la traduction résulte en effet de stratégies qui ne sont pas forcément « aussi évidentes qu’elles en ont l’air », comme le dit Hélène Wadowski. « Ce n’est pas une facilité : l’investissement est moins rentable pour un petit tirage, mais c’est une recherche de qualité qui a un coût. La diversification du catalogue est nécessaire, mais le travail de recherche prend beaucoup de temps. » Pour Flammarion, les achats se concentrent sur des romans unitaires, majoritairement anglo-saxons : « Les auteurs ont un savoir-faire pour raconter des histoires, que l’on retrouve dans la production audiovisuelle. Leur rapport à l’écriture est différent, ils fonctionnent très bien sur des idées, et cela permet de rencontrer des thèmes plus variés. »

Jean-Louis Hocq, Solar : « A moyen terme, c’est moins rentable que de créer : les droits de réexploitation ne sont pas compris. »- Photo OLIVIER DION

 

 

Vers l’Orient.

Chez Mango Jeunesse, Christophe Savouré s’est tourné vers l’Orient : « Les Coréens et les Japonais deviennent des pourvoyeurs importants. Leur travail graphique correspond à un goût qui s’est développé en France depuis plusieurs années maintenant. Nous fonctionnons surtout au coup de cœur pour le travail d’un illustrateur. Néanmoins, il nous arrive d’acheter les droits pour une collection, comme "Nature en vue", que nous avons découverte chez un éditeur coréen. L’énorme travail iconographique n’aurait pu être réalisé pour un prix d’achat raisonnable en création. De même, pour un livre jeunesse de fabrication complexe, un packager, qui le tirera aussi bien pour nous que pour les marchés allemands, italiens et j’en passe, a un coût de fabrication divisé par autant, et nous évite de le répercuter en librairie. »

 

Cet aspect financier est davantage présent dans le rayon pratique. « Quand nous proposons un livre de référence en jardinage qui couvre toute l’année, l’iconographie est énorme. Comment voulez-vous que nous proposions la même chose en création ? Cela reviendrait beaucoup plus cher à produire, et donc à acheter pour le lecteur », s’exclame Catherine Saunier-Talec. Dans un secteur très influencé par les modes, le recours à l’achat est aussi une façon de se positionner rapidement sur le marché : « Les délais de publication se trouvent divisés par deux », mesure Christophe Savouré. Cependant, la facilité financière est, elle aussi, à nuancer, si l’on en croit Jean-Louis Hocq : « A moyen terme, c’est moins rentable que de créer : les droits de réexploitation ne sont pas compris, et il est plus difficile, dans le cas d’un contrat avec un packager, de réajuster le tir en amont de la publication, notamment au niveau du tirage. Ce qui fait qu’on peut se retrouver avec des stocks sur les bras… »

Et puis, les éditeurs ne croient pas vraiment à la disparition totale des frontières. Aussi bien en jeunesse qu’en pratique, la mondialisation reste relative. « Quand un livre est destiné à être publié dans toutes les langues, comme c’est le cas avec les packagers, il y a, malgré la qualité, une sorte d’uniformisation des goûts, que les libraires comme les clients identifient très vite et qui n’est pas attrayante : il y manque un certain point de vue d’auteur », analyse Eric Sulpice. Ce qui n’empêche pas une « universalisation des goûts », selon Catherine Saunier-Talec, qui ajoute que « pour les vins ou la chasse, on ne recourt pas à la traduction. Nous sommes attendus par notre public français ». Comme le note Christophe Savouré à propos des livres de cuisine anglais, très traduits partout, « si cela marche pour les salades, ce n’est pas forcément le cas pour les pâtisseries ». Pour Jean-Louis Hocq, « un double phénomène est à l’œuvre : il y a un retour à la tradition culinaire nationale, mais il s’accompagne d’une ouverture aux gastronomies d’ailleurs ». Ce que retrouve Christophe Savouré en jeunesse : « La génération des années 2000 est indubitablement plus cosmopolite que les précédentes. Mais cela nous ouvre des portes : c’est le cas en France, mais aussi dans le reste du monde. » Plus de traductions, peut-être, mais dans les deux sens.

Fanny Taillandier

 


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