Histoire de l'édition

Tout Maurice Nadeau

Maurice Nadeau, 2006. - Photo Olivier Dion

Tout Maurice Nadeau

L'intégrale des articles de Maurice Nadeau (1911-2013) surplombe un bon demi-siècle de littérature française en trois volumes. Le premier, à paraître le 21 novembre, montre l'éditeur perçant déjà sous le journaliste littéraire pendant ses années au journal Combat,dans l'immédiat après-guerre. _ par Laurent Lemire

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Par Laurent Lemire
Créé le 13.11.2018 à 15h51

Lorsqu'il observait son père à son bureau, tard dans la nuit, écrivant au milieu des volutes de fumée, Gilles Nadeau n'imaginait pas découvrir un jour une telle richesse. On n'imagine jamais ce qui se passe dans le cerveau d'un auteur. Car Maurice Nadeau en était un. Editeur assurément, découvreur forcément, mais auteur sûrement. Le premier volume de ce triptyque en fait foi. « Du vivant de mon père, je me souvenais qu'il avait envisagé de faire une sélection de ses articles, précise Gilles Nadeau. Il avait déjà publié en 1952 une partie de ceux parus dans Combat sous le titre "Littérature présente" chez Corrêa. Après sa mort en 2013, il était devenu évident qu'il ne fallait plus faire de choix. »

Maurice Nadeau, 2006.- Photo OLIVIER DION

Le choix de l'exhaustivité

Comment le décider d'ailleurs parmi un tel maquis de textes, tous ayant un intérêt, même si une partie des auteurs traités ne nous disent plus rien. C'est donc l'exhaustivité qui a prévalu pour cette édition. Et c'est tant mieux.

La longévité et la prolixité de Maurice Nadeau offrent une vue surplombante de la littérature française durant un bon demi-siècle. Le premier tome, qui paraît le 21 novembre, couvre, de 1945 à 1951, les années Combat, le journal animé par Pascal Pia et Albert Camus dont il dirigeait la page littéraire. Un deuxième, consacré aux années de la revue Les Lettres Nouvelles (1952-1965), paraîtra à la rentrée 2019, et un troisième sur les années de La Quinzaine littéraire (1966-2013) à l'automne 2020. Près de 5 000 pages au total pour saisir comment ce trotskiste garda ses sympathies pour les surréalistes, malgré sa brouille avec Breton, et surtout comment il a maintenu cette proximité avec le mouvement des idées de son temps.

Cette œuvre critique est faite d'articles, d'admirations, de découvertes. Les grands éditeurs sont souvent des écrivains rentrés qui trouvent chez les autres des miroirs dans lesquels ils se reconnaissent. Maurice Nadeau était de ceux-là.

Gilles Nadeau, qui a tout lu, s'émerveille encore des télescopages d'un lecteur attentif qui passait sans souci des romans à la philosophie. « Il maniait bien l'ironie. » On peut le constater dans l'article qu'il consacre à François Mauriac. Il défend aussi sans scrupule les ouvrages qu'il édite si personne ne s'y intéresse. C'est le cas pour Malcom Lowry dont il publie Au-dessous du volcan chez Corrêa en 1950.

« J'ai découvert une puissance d'écriture comme j'avais découvert mon père en faisant un film sur lui en 2005 », explique le réalisateur qui a repris la maison d'édition de son père en 2014. Cette vigueur du style se révèle d'autant plus quand les textes retenus sont forts. Quand il évoque les manuscrits de la mer Morte, il se fait théologien dubitatif. Lorsqu'il parle des poésies d'Aimé Césaire, il devient lyrique. Les livres des autres l'inspirent. Il fait son miel de ces fleurs étranges qu'il butine avec avidité, jusqu'à des heures indues.

Déjà aux aguets

« Je reconnais Nadeau dans ces pages, indique Tiphaine Samoyault, la préfacière de ce premier volume. Je l'ai connu pendant près de vingt ans à la Quinzaine et j'ai retrouvé un Nadeau déjà aux aguets, vigilant, passionné, avec la conviction que la littérature est fondamentale pour le débat d'idées. Dans cette époque de reconfiguration de l'après-guerre, il est aussi très attentif à la poésie et aux livres d'histoire. Il prend tout cela en charge en son nom. On ne voit pas encore le Nadeau découvreur, mais on le sent poindre. Sa méthode ? Appuyer sa lecture de convictions esthétiques et politiques. Si un texte n'entre pas dans le champ du débat d'idées, il ne s'y intéresse pas. Ce volume a confirmé l'intuition que j'avais et la place qu'il tenait dans le monde des idées. Il s'est acharné à donner des repères. Il y a chez lui une détermination farouche à reconstruire l'époque par les livres. On distingue clairement cette énergie, cette certitude à poser des lumières dans la nuit. Ce journalisme littéraire s'écrit certes au présent, mais il veut aussi donner des repères sur ce qui restera, sur ce qui est amené à durer comme c'est le cas par exemple pour Romain Gary, Henri Michaux ou Roger Vailland. »

Face à Sartre, qui dans Les Temps modernes reproche à la critique en général son manque de discernement, Maurice Nadeau répond dans la revue des jeunes socialistes Gavroche : « Nous avons une autre conception de la critique. Parce que nous ne pensons pas "faire notre histoire à l'aveuglette", mais avec le plus de conscience possible. » C'est pourquoi, cigarette après cigarette, il tapait ses articles avec la conviction si chère à son mentor Albert Camus que si la littérature ne pouvait pas refaire le monde elle avait la tâche plus grande encore d'empêcher qu'à nouveau il ne se défasse.

 

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