C’est un marronnier du Figaro depuis la nuit des temps, quand Jean-Marie Rouart dirigeait ces pages – voire peut-être même avant. Chaque rentrée, la rédaction nous propose la photo de groupe de dix auteurs de premier roman. Et depuis la nuit des temps (je suis un vieux lecteur), je reste interloqué : on nous présente invariablement la brochette des premiers romanciers, tous âges et styles confondus, comme une bande de camarades qui, joyeusement, forment le pack afin de « faire l’actualité » et « monter sur la plus haute marche du podium ». On les voit donc, ce 30 août, à la une du Figaro littéraire, sur un podium, où diplomatiquement, on a écrit « 1 » sur la première marche, « 1 » sur la deuxième et « 1 » sur la troisième. Tout le monde est content, comme l’équipe de France à Osaka, ces jours-ci, où – côté podium – personne ne porte ombrage à l’autre. Il n’y aura pas de jaloux. Les premiers romanciers ont néanmoins l’air, cette année, modérément motivés. Auraient-ils l’ombre d’un doute quant à la pertinence de la mise en scène ? Même premier romancier, on a du respect humain. Dans la mêlée des auteurs Qui donc, dans la nuit des temps – et peut-être même avant J.-M. R – a eu l’étrange idée de croire que les premiers romanciers faisaient groupe dans un métier profondément individualiste, où les concurrents pour « la plus haute marche » sont en général d’une jalousie maladive et d’un narcissisme paranoïaque ? Le premier roman est, de surcroît, dans la vie d’un écrivain, celui qu’il tient pour unique, n’imaginant pas qu’il se fonde dans la masse des 101 premiers romans écrits par les autres, voire dans celle des 492 romans premiers et non premiers, tout premiers confondus : 493 fois « 1 », sacré podium. Pour la photo, 2008 louons le stade de France. Drôle d’idée, aussi, de penser qu’on se lance dans le roman pour « faire l’actualité », et qu’on s’y lance comme à la guerre fraîche et joyeuse, histoire de rigoler en groupe sur une photo. Le lecteur de romans sait que les histoires d’amour y finissent mal en général (si, par prodige, elles peuvent au moins commencer), que l’auteur est peu sûr de lui et que le monde y est rarement dépeint comme une tribu de types sympas. Un dixième En plus, ça demande un travail fou, ce genre de photos. Il faut sélectionner dix premiers romanciers. Pourquoi ces dix là sur 102 ? Il faut panacher les âges, respecter la parité, trouver quelques visages atypiques et respecter l’équilibre entre maisons d’éditions. Après quoi, il faut accorder les emplois du temps des dix personnes, qu’elles puissent se rendre à l’interminable séance de pose – et se débrouiller pour qu’il s’agisse de Parisiens ou, tout du moins, de Franciliens. Dans le cas contraire, il faut trouver l’éditeur assez généreux pour payer le billet. Ça restreint les choix… Oublions les podiums. Si votre mari, madame - écrivit je ne sais plus où Evelyn Waugh – s’assied souvent à une table. S’il se lève toutes les cinq minutes pour regarder longuement par la fenêtre, pour boire un verre d’eau, fumer une cigarette, faire le tour du salon, feuilleter les pages d’un livre ou d’un journal, prendre le courrier. S’il revient régulièrement se rasseoir. S’il se relève non moins régulièrement, recommençant le même manège, surtout regarder par la fenêtre, le regard vide. Si les feuilles devant lui sont toujours blanches – et bien, c’est que votre mari, madame, est en train d’écrire.
15.10 2013

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