Deux chefs au top. En ce printemps 1952, Ulysse trime pour préparer son baccalauréat. Car son père a de grandes ambitions pour lui. Or, une sombre affaire éclate : cet industriel intransigeant aurait, pendant l'Occupation, commercé avec les Allemands... Ulysse et sa mère s'éloignent alors des rumeurs malveillantes de la capitale et d'un probable procès pour s'établir en Bourgogne. Là, le jeune garçon rencontre Cyrano, un ours mal léché, autrefois chef étoilé, qui va faire naître en lui une vocation : la cuisine.

Avec son scénario solide et son dessin réaliste de haute tenue, Ulysse et Cyrano a tout pour devenir la bonne surprise de l'été en librairies. Car c'est une grande fiction classique comme on n'en fait plus beaucoup, dotée d'une narration limpide, de personnages attachants, de dialogues bien tournés, de rebondissements crédibles et de thématiques universelles. On reconnaît là la patte de Xavier Dorison (1629, Le château des animaux, Undertaker...), qui a été aidé ici par un fin connaisseur de l'histoire de la gastronomie, Antoine Cristau. Leur histoire s'en ressent, avec ses effluves envoûtants de pinot noir, ses scènes suaves comme de l'os à moelle ou mordantes comme des ris de veau. Impossible de ne pas saliver face à l'évocation de ces grands plats de la cuisine française, d'autant que le maître mot, répété comme un slogan par Cyrano, est le plaisir. Mais le talent des scénaristes est de ne pas se cantonner à quelques recettes apprises en douce par le lycéen à la place de ses leçons d'algèbre. En imaginant le jeune cuistot, coaché par le chef retiré des fourneaux, aller concourir face une nouvelle cuisine complexe à outrance, ils égratignent avec malice la course aux étoiles et la mode des assiettes chichiteuses. En outre, ils brossent un fin portrait de famille, très humain, où il est essentiellement question des choix que l'on fait pour sa vie et celle de ses proches. Entre responsabilité assumée, respect de ses convictions et quête d'un rêve personnel, les décisions n'ont rien d'évident, et la trame de cet album l'illustre avec intelligence. Le tout sous la plume aiguisée et les pinceaux chatoyants de Stéphane Servain (Holly Ann), qui signe sans doute là sa plus belle bande dessinée. Un régal de l'entrée au dessert.