Passé par la distribution spécialisée, et notamment par Decathlon, Stéphan Rocton a racheté en 2010 à Saint-Pierre-d’Oléron (Nouvelle-Aquitaine) la Librairie des pertuis, alors menacée de fermeture. Cinq ans plus tard, il crée à Saint-Denis-d’Oléron un second magasin, La Pêche aux livres, ouvert d’avril à octobre. Il s’apprête à inaugurer à Marennes, à 25 km de son navire amiral, son troisième point de vente, la Librairie du coureau. Engagé localement au niveau associatif, il préside depuis février l’association Librairies indépendantes en Nouvelle-Aquitaine.
Stéphan Rocton - Préparée depuis quatre ans, l’ouverture de ma troisième librairie, le 7 juillet à Marennes, concrétise une grande partie de mes convictions sur le métier de libraire. Elle répond à la fois à un besoin de solutions économiques pour assurer la rentabilité et le développement de l’ensemble de mes libraires, à une envie du maire de Marennes de redynamiser son centre-bourg et à ma volonté d’être plus proche de mes clients. En m’installant à Marennes, dont la population n’excède pas les 6 000 habitants, je réponds à ce besoin de proximité, mais je ne peux le faire que parce que je possède déjà deux autres librairies.
Non, bien au contraire. Les trois librairies ne forment qu’une société, dont le navire amiral est la Librairie des pertuis. En augmentant mécaniquement le volume d’achats et le chiffre d’affaires de l’ensemble, la Librairie du coureau va contribuer à en améliorer les conditions commerciales. Par effet de cascade, elle-même va en profiter: grâce à ces meilleures conditions, son seuil de rentabilité va s’abaisser. C’est ce qui s’est passé à La Pêche aux livres, qui est devenue rentable à partir de 100 000 euros de chiffre d’affaires, alors que le seuil normal avoisine plutôt les 150 000 euros. La mécanique fonctionne et c’est ce qui me pousse à me battre, au sein de l’association Librairies indépendantes en Nouvelle-Aquitaine (Lina), pour obtenir des diffuseurs et des distributeurs des remises plancher de l’ordre de 36%. Cela fait partie des conditions nécessaires pour que les librairies qui font autre chose que du libre-service soient rentables.
D’un côté, les libraires se retrouvent face à de grosses machines de guerre qui se structurent. Ils en ont besoin mais ils doivent aussi parfaitement savoir ce qu’ils en attendent, par exemple que ces grands opérateurs amènent suffisamment de ressources aux libraires indépendants pour qu’ils puissent avoir les moyens de leur liberté éditoriale. Il faut pouvoir garder une certaine agilité et une compétitivité face à cette armada. Cela ne peut se faire que dans la mutualisation. De l’autre côté, il existe un tissu local du livre, qui va des auteurs aux distributeurs, et avec lequel il est important de travailler. Il représente en effet une double richesse: pour ceux qui habitent ou viennent sur le territoire, cela permet de découvrir ou mieux connaître son patrimoine. Et, en soutenant cet écosystème, on lui donne la capacité de s’exporter et de se vendre ailleurs.
C’est sur le territoire que se joue un des enjeux vitaux de la librairie, la proximité avec les clients. Une des questions que doit, à mon sens, se poser la profession est celle-ci: que fait la librairie pour être plus proche de ses clients? Une des réponses tient dans sa capacité à s’emparer de chaque événement qui se déroule sur son territoire pour en faire une occasion de revenir au livre. Peu importe la forme de la manifestation, un salon floral ou n’importe quelle course sportive, le livre est suffisamment varié et souple pour s’y introduire. Aux libraires de proposer des thématiques qui intéressent le public présent et d’établir des parallèles. C’est notamment vrai auprès des jeunes. Je reste persuadé que l’avenir de la librairie passe par l’investissement des manifestations où il y a des jeunes pour leur donner le goût des livres.
Les enjeux sont forts sur ce sujet, mais je suis conscient qu’il existe aussi des craintes. Ce sont des outils onéreux et qui peuvent être intrusifs. Mais ils sont utilisés par certains de nos concurrents. Toutefois, je reste plutôt dubitatif: je préfère me battre avec des outils de relation humaine, que les libraires possèdent déjà. La librairie moderne doit être authentique et assumer une forme de caractère, qui corresponde aux envies de ses clients. Cela passe notamment par un aménagement, une ambiance, un accueil, une sincérité. Le but, c’est de faire vibrer les sens des clients, comme on peut le faire déjà avec les cafés-librairies. Mais il faut aller encore plus loin en créant une atmosphère, comme à Jeux de mots à Cadillac, chez Bookstore à Biarritz ou chez Caractères à Mont-de-Marsan. C’est en actionnant ce levier-là que la différence avec la grande distribution et le digital se fera.
Les bonnes idées sont à prendre partout. Les libraires peuvent donc explorer des possibles en allant voir ce qui se fait ailleurs, que ce soit dans des domaines culturels ou pas. Les champs sont vastes: le sport, l’économie des seniors, l’éducation, le tourisme… En discutant avec des gens de tous les milieux, on peut s’ouvrir des pistes et réfléchir sur le développement du livre pour ces différentes cibles, ou trouver des éléments de solutions à nos problèmes. La Région a ainsi invité Lina à une discussion avec des acteurs de la musique, des banquiers et des juristes pour échanger sur la trésorerie, une problématique déjà abordée dans la filière musicale. La transversalité se révèle aussi un bon moyen de faire de la prospective et de réfléchir à notre adaptation au monde de demain. Il ne faut pas en avoir peur, elle doit au contraire devenir une source d’inspiration pour nos librairies.