Essai-

Sophie Galabru, "Le visage de nos colères" (Flammarion) : En rogne

Sophie Galabru - Photo © Pascal Ito/Flammarion

Sophie Galabru, "Le visage de nos colères" (Flammarion) : En rogne

Dans un essai nourri d'exemples, Sophie Galabru explore le territoire de nos colères et réhabilite cette passion méprisée. Tirage à 4500 exemplaires.

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Par Laurent Lemire
Créé le 23.02.2022 à 10h00 ,
Mis à jour le 08.03.2022 à 18h26

Et si la colère était une vertu ? Bernanos la voyait comme une sorte de ressort à l'indignation. Avant lui, Saint Thomas d'Aquin l'envisageait dans sa Somme théologique comme « une passion de l'appétit sensible » par laquelle « on désire punir celui dont on a reçu un dommage injustement causé ». Ce n'est pas une réhabilitation, mais un premier pas. Sophie Galabru avance un peu plus loin. Dans un essai tout en finesse dans lequel elle montre sa dextérité à circuler dans les idées sans jamais égarer son lecteur, elle explique en quoi cette passion n'est pas si triste que cela. Cette philosophe, docteure et agrégée, petite-fille de Michel Galabru, a consacré sa thèse à la notion de temps chez Levinas. Elle ouvre ici un sujet plus grand public qui se situe aux confins de la politique, de la morale et du développement personnel. Elle le dit d'emblée : « Je suis entrée en sympathie avec d'autres colères. »

C'est ainsi que pendant quelques années, elle a traqué ces moments de rupture pour raconter cette philosophie de la colère qui prend d'abord la forme de son empêchement. Car mis à part Thomas d'Aquin, le monde le monde chrétien a tout fait pour éviter que cette émotion soit considérée comme positive. « La colère dérange tout autant que la folie, peut-être parce qu'elle semble en être l'euphémisme, l'antichambre, l'astre connexe. » Mais la colère, comme la folie, peut être créatrice et l'on doit à celle d'Achille le premier chef-d'œuvre de la littérature.

À l'aide de nombreux exemples, elle fait le point sur cette notion ni bien comprise ni bien vécue. Elle n'est pas bien vue chez les femmes, ou dans l'entreprise qui peut pourtant être socialement violente. Sophie Galabru remarque qu'il en est des colères manquées comme des occasions. On s'en veut a posteriori de ne pas avoir montré son exaspération face à une agression, une injustice, tout simplement parce que la passivité est organisée par la société. Elle nous conditionne et nous enjoint de mettre de côté nos passions. Voilà pourquoi elles ressortent, via les mises en scène de la colère chez l'écrivain Édouard Louis ou chez le réalisateur Ken Loach. Mais il est aussi question de la colère exténuée par la peur du Covid-19 ou de la colère amenant à la révolte des « gilets jaunes ». « Dans le long périple de la vie collective comme dans l'initiation douloureuse et subtile à nos affinités électives, nous devrions aimer la colère, parce qu'elle est un art de vivre en commun sans rien perdre de soi. »

On voit combien cette colère est au cœur de nos sociétés, qu'elle nous occupe plus que nous nous occupons d'elle. Il s'agit donc moins d'un appel à la colère qu'à une invitation à se démettre d'elle pour mieux la contrôler et l'utiliser lorsqu'elle s'avère nécessaire, pas comme chez Hulk où le rouge de la colère devient vert de rage. Il ne tient qu'à nous d'en faire un « signal intelligent » en la dissociant de la haine destructrice. « La colère m'a changée » avoue Sophie Galabru. Son livre incite aussi à changer le regard sur cette sensation qui monte lorsque l'humanité s'effondre.

Sophie Galabru
Le visage de nos colères
Flammarion
Tirage: 4 500 ex.
Prix: 20,90 € ; 320 p.
ISBN: 9782080255280

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