« Le travail de fouilles auquel je me livre tient autant de l'exhumation que de la rêverie. Quelques dates, une vertèbre, suffisent à ma joie d'archéologue. » Depuis l'admirable Ce que dit Lili (Arléa, 2007) ou le non moins estimable Dire adieu (Mercure de France, 2014), on ne saurait mieux résumer la nature du travail à la fois mémoriel et tout de même profondément romanesque que mène de livre en livre Sophie Avon. Une femme remarquable en est une nouvelle illustration, qui lui permet en même temps d'agrandir sa focale d'écrivain pour nous livrer une grande fresque sur l'Algérie (son pays perdu, dès la petite enfance) de 1925 jusqu'à la décolonisation.

Cette « femme remarquable », c'est Mime, la grand-mère de l'auteure. C'est vrai qu'elle est remarquable cette Mime. Par sa beauté tout d'abord, par sa tristesse ensuite (elle ne se remettra jamais vraiment d'avoir perdu en bas âge sa fille, Simone), mais aussi par son courage et sa détermination. Heureusement mariée avec Marius, un homme fidèle et droit, mère de trois autres enfants, trois garçons, elle se refuse à cette existence de femme au foyer endeuillée. Quittant Oran chaque semaine, elle reprend ses études pour être nommée institutrice à Sidi Chami, un village pauvre à deux heures de cheval. Au quotidien, Mime ne fait aucune différence entre Arabes, pieds-noirs, Juifs ou même Italiens - puisqu'elle enseigne aussi le français à des prisonniers transalpins non loin de là. Tout la trouble, la bouleverse, les livres, les gens, les enfants, mais rien ne l'arrête vraiment. L'âme blessée, elle n'oublie jamais de vivre.

La maestria narrative que déploie ici Sophie Avon est elle aussi remarquable. Journaliste de profession et romancière née, elle enquête autant qu'elle imagine. Avec justesse, toujours à la bonne distance de son sujet et de ses personnages. Puisque 2022 marquera le soixantième anniversaire de la signature des accords d'Évian qui donnera probablement lieu à une floraison éditoriale, prenons de l'avance : le grand roman sur l'Algérie est peut-être déjà là.