Vincent Montagne - Le bureau du syndicat m’a demandé, à l’unanimité, de conduire un nouveau mandat, et j’ai accepté. D’abord parce que les évolutions professionnelles s’inscrivent dans un processus long. Historiquement, les mandats étaient chez nous de trois ans, nous sommes descendus à deux, ce qui est court dans la vie d’un syndicat : tout ne se règle pas en quelques mois. Ensuite, comme vous le savez, nous avons mené depuis septembre une réflexion sur l’évolution de la direction du syndicat. Elle a abouti en 2016, en passant d’un délégué général à un directeur général, qui porte plus l’expérience des éditeurs, à la nomination de Pierre Dutilleul, par ailleurs président de la Fédération des éditeurs européens (FEE) jusqu’à la fin juin. Il nous semble utile d’avoir un tandem en symbiose pour se passer le relais sur un certain nombre de dossiers. C’est dans ce format-là que le bureau a souhaité que je continue à la tête de notre organisation.
Vincent Montagne - L’équipe est quasiment constituée, je l’annoncerai prochainement, mais il n’y aura pas de changement spectaculaire.
Pierre Dutilleul - Il s’est déroulé dans un contexte de forte intervention des pouvoirs publics français et européens pour remettre en cause les fondamentaux de nos métiers. La réouverture par Bruxelles du débat sur la directive européenne sur le droit d’auteur et la loi Lemaire en France ont obligé la profession à se reposer des questions, y compris avec les auteurs, les libraires et dans une moindre mesure les bibliothécaires. L’essentiel de notre action vise à protéger la création, en n’oubliant pas que l’éditeur est avant tout un entrepreneur et un investisseur. Dans notre métier, qui inclut la fonction de transmission du désir de se cultiver, de se former, de se distraire, toute la diversité culturelle est en jeu.
Vincent Montagne - Dans les années qui viennent de s’écouler, les éditeurs ont concrètement fait la preuve qu’ils étaient au cœur de la chaîne du livre. Par exemple, au cours du mandat précédent, nous avons appuyé et accompagné le plan d’aide à la librairie avec le Syndicat de la librairie française (SLF). Nous avons été attentifs aux problèmes que rencontraient certaines chaînes. L’Adelc, qui est un instrument des éditeurs, aide la librairie depuis vingt-cinq ans.
Pierre Dutilleul - Le projet de réforme de la directive sur le droit d’auteur subit depuis quelques semaines les effets secondaires de deux affaires. L’arrêt Reprobel, du nom de la société belge de gestion qui perçoit et distribue les droits sur la reprographie, rendu par la Cour de justice européenne dit que l’éditeur n’est pas ayant droit et qu’il ne recevra donc plus sa part. Ensuite, l’arrêt Vogel, du nom d’un auteur qui s’est retourné contre la société Wort, l’équivalent allemand du Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC), en lui réclamant plus d’argent que ce qu’il avait touché et qui a gagné, même si un recours est encore possible (1). Ces deux arrêts nient clairement le rôle de l’éditeur dans la création. Nous travaillons donc avec la Fédération des éditeurs européens à clarifier et à réaffirmer le rôle de l’éditeur dans le projet de réforme de la directive. D’autant que la Commission européenne a lancé une consultation courant jusqu’au 15 juin pour tester la création d’un droit de l’éditeur voisin du droit d’auteur. Nous n’en mesurons pas encore toutes les implications, nous réfléchissons mais, pour nous, le droit de l’éditeur est indissociable du droit d’auteur et de la création.
Pierre Dutilleul - La loi Lemaire touche également un principe fondamental du droit d’auteur en visant les revues scientifiques de langue française, qui perdraient leur protection au bout de six mois pour les sciences dures et un an pour les sciences humaines. Nous sommes opposés à cette mesure. La commission mixte paritaire doit se réunir d’ici à la fin juin pour statuer entre les options envisagées à l’Assemblée nationale et au Sénat. En tout état de cause, si la mesure doit s’appliquer, nous militons pour que ce ne soit pas avant 2018 afin que les plateformes et les organisations puissent s’adapter. Il y a aussi l’amendement de Nathalie Kosciusko-Morizet, qui voudrait généraliser la fouille de textes. Nous travaillons actuellement avec les députés, les sénateurs et le gouvernement à une solution qui n’aille pas contre la volonté des chercheurs et des parlementaires, mais qui préserve les intérêts des auteurs et des éditeurs.
On a entendu à l’occasion de ces débats que le gouvernement voulait aider les éditeurs à effectuer leur transition numérique, mais il y a belle lurette qu’elle est faite ! Nous sommes une industrie non subventionnée et nous entendons le rester.
Vincent Montagne - Les principales dispositions de nos contrats (reddition des comptes, remontée d’informations à l’auteur, droits dérivés…) demandent la mise en place d’outils sur lesquels nous travaillons avec les auteurs. Notre rôle de syndicat est de clarifier le plus possible les redditions de compte au profit des auteurs. Il faut qu’on arrive à le faire pour les grandes maisons, mais aussi pour les petites, afin qu’elles ne soient pas assommées sous le travail administratif. Cette réflexion sur les contrats est une nécessité. Elle court depuis plusieurs mois, et certains points sont déjà résolus.
Pierre Dutilleul - C’est le cas de deux points, même s’ils nécessitent encore un travail de rédaction pour pouvoir les incorporer au code des usages : les modalités de l’intégration des provisions sur retours dans les comptes des auteurs et des éditeurs, et la "non-compensation", c’est-à-dire l’interdiction de la péréquation des droits entre les titres d’un même auteur, sauf accord explicite entre l’auteur et l’éditeur.
Vincent Montagne - Dès la conférence de presse de présentation du dernier salon, j’ai indiqué que sa refonte s’inscrivait dans un processus évolutif en plusieurs étapes. Le syndicat s’est ré-impliqué dans la programmation, pour laquelle nous voulions une meilleure éditorialisation et je crois que sur ce point, grâce à Evelyn Prawidlo, tout le monde a été satisfait. Si nous sommes fiers de ce qui a été mis en place, nous avons aussi conscience qu’il y a beaucoup à améliorer. L’affaire de Livre Paris est celle de tous les éditeurs, nous les avons largement consultés et nous préciserons très prochainement la formule de la prochaine édition.
Vincent Montagne -Nous avons eu des exercices excédentaires, qui nous permettent d’investir sans mettre en péril le syndicat, c’est notre rôle.
Pierre Dutilleul - Et si notre investissement est important, il porte aussi l’espoir d’une meilleure performance dans le futur. Il s’étalera sur plusieurs années. Non seulement il ne remettra pas en cause le fonctionnement du SNE, mais il doit lui permettre de se développer, avec les mêmes moyens.
Vincent Montagne - J’aime bien ce nouveau titre, qui a des accents plus littéraires que le précédent. C’est une manifestation qui installe progressivement le livre autour de l’été, où on a le plus le temps de lire. Elle me fait rêver à une fête du livre qui couvre toute la France, comme il y en a une pour la musique. Par ailleurs, il faut évoquer "Les petits champions de la lecture", où les inscriptions sont en hausse de 13 % par rapport à 2015. 26 000 enfants participent à cette initiative très importante de promotion du livre et de la lecture, dans la perspective de la grande finale, le 22 juin à la Comédie-Française.
Vincent Montagne - Angoulême peine à se rénover, et ça ne date pas d’hier. Nous sommes très préoccupés parce qu’il s’agit d’un lieu de rencontre essentiel pour la BD, mais aussi pour l’audiovisuel. Je n’ai aucun doute sur la volonté de la Ville de développer le festival. Le problème, c’est : comment ? Ce doit être une œuvre collective des collectivités, des éditeurs, etc. Et pour que la prochaine édition puisse se tenir dans une optique de qualité, il est nécessaire que le médiateur arrive à trouver une solution de refonte qui aille au-delà de l’échéance de 2017.
Vincent Montagne - Je porte sur lui un regard très positif. D’abord parce que la croissance enregistrée en 2015 n’est pas un épiphénomène et qu’elle sera aussi au rendez-vous en 2016, notamment grâce au renouvellement des manuels scolaires. Ensuite, parce qu’il y a une continuité de croissance des cessions de droits à l’étranger. La réalité internationale de ce métier continue à progresser. De nouveaux marchés s’ouvrent, avec de grandes échéances en perspective comme Francfort 2017.
Pierre Dutilleul - Nous sommes évidemment partie prenante de l’organisation de ce grand rendez-vous. En réalité, il s’agit d’ailleurs plus d’une mise en avant de la langue française que d’un pays. Nous y associerons aussi la Belgique francophone, la Suisse, le Québec… Le SNE jouera un rôle important dans la programmation et l’ensemble des groupes est mobilisé pour trouver les auteurs et éditeurs capables de nous représenter à Francfort. Il faut que ce soit le commencement de quelque chose et que tant en France qu’en Allemagne les projets et structures perdurent après l’événement.
Pierre Dutilleul - Il y a des conditions pour intégrer l’UIE, notamment la défense de la liberté de publier et l’indépendance vis-à-vis des gouvernements. Ces deux pays ne répondaient en rien à ces conditions. Deux comités de l’UIE ont donné des avis défavorables, mais ils ont été intégrés. Mis devant le fait accompli, nous avons pris la tête, avec huit autres pays européens, d’un travail de refonte des statuts de l’UIE pour éviter que ce type d’incidents ne se reproduise. Il n’y a pas que l’économie dans la vie, mais aussi des valeurs que nous souhaitons mettre en avant et défendre.
(1) LH 1084, du 6.5.2016, p. 29.