Sous bonne escorte. Raphaëlle est une étudiante comme tant d'autres. Un peu rêveuse mais les pieds sur terre, fauchée mais débrouillarde, angoissée mais capable de donner le change. Montée à Paris pour suivre des études d'architecture, elle se confronte vite au mépris de classe et au coût de la vie, mais se fait une petite bande d'amis bienveillants. Un jour, sur une appli de rencontres, un homme lui propose de l'argent, juste pour un rendez-vous. Elle décline, choquée. Mais plus tard, le besoin d'argent se fait pressant. Juste un rendez-vous, c'est facile. Rapide. Tentant. Et Raphaëlle devient Sibylline, sugar baby d'hommes prêts à la payer pour la nuit.

Sous-titré « Chroniques d'une escort girl », ce premier album de Sixtine Dano évite le voyeurisme, écueil évident d'un tel projet. La jeune autrice, diplômée des Gobelins en animation et activiste pour le climat par ailleurs, prend en effet le temps de brosser le portrait crédible d'une jeune adulte d'aujourd'hui, avide de s'émanciper, de trouver son chemin et de faire entendre sa voix, et, dans le même temps, fragile, immature et en construction affective. Par petites touches, par des scènes dialoguées avec sa copine de classe, bien plus délurée, par un geste fugace ou un regard appuyé, la dessinatrice saisit avec justesse ce temps suspendu entre la fin de l'enfance et l'entrée dans la vraie vie d'adulte, cette sensation de vertige mi-grisante, mi-terrifiante. Dès lors, sa description des relations de Sibylline (et sa copine qu'elle a embarquée dans le business) avec les clients est fine, complexe, jamais définitive. Appuyée sur des témoignages recueillis pendant plusieurs années, sa fiction ne condamne pas, n'idolâtre pas non plus : elle montre à quel point certaines escorts assument leur travail comme une prise de pouvoir sur les mâles, et, à l'inverse, n'élude pas les conséquences psychiques d'être considérée comme une marchandise qui a forcément un prix.

L'autre réussite de cet album est la grande maîtrise de sa narration. Cadrages étudiés, délicatesse des ambiances dans un noir et blanc soigneusement posé, expressivité des visages et des corps, découpage d'une rare fluidité... Sixtine Dano impressionne et fait une irruption remarquée dans le monde du 9^e art. Une belle façon de commencer l'année.