Antoine, un jeune garçon d'une dizaine d'années, est confié provisoirement à la garde de ses grands-parents, le temps que ses parents se sortent de leur crise conjugale. Dans cette campagne vosgienne du début des années 1990, les journées passent de façon bien ennuyeuse pour le gamin. Il ne partage pas les centres d'intérêt de sa grand-mère dont les journées s'écoulent entre cuisine, télé, tricot et jardinage. Son grand-père, quant à lui, l'effraye terriblement. Désagréable, hargneux, ce chasseur expérimenté n'hésite pas à le rudoyer et à se moquer de lui. Il faut dire qu'Antoine n'est pas très doué pour le bricolage ou le tir, les passions du vieil homme, et préfère s'isoler avec sa Game Boy. La maison, grande, vide, glaçante, parsemée de quelques bibelots laids et de terrifiantes têtes de chevreuils et de sangliers empaillés, offre peu de distraction. La nature environnante est elle-même un peu inquiétante : des poissons rouges nagent dans le ruisseau, des champignons poussent en ligne droite... Le décor, angoissant, est campé. Puis soudain, tout dérape : au cours d'une cueillette aux champignons, le jeune garçon devient un chevreuil. Rêve, cauchemar, délire, faille spatiotemporelle ? Dans quelques scènes bucoliques, on voit le jeune animal se laisser aller à la découverte de la nature, humer les fleurs, se rouler dans la boue, jouer dans l'eau avec une libellule, écouter discrètement les humains, et même assister aux recherches de l'enfant disparu. Mais il va surtout s'agir d'éviter les chasseurs, dont son grand-père et une jeune scoute bien aguerrie au tir à l'arc...
L'Agrume, à qui l'on doit la parution française des albums de Julia Wertz ou la série Dora de l'Argentin Minaverry, publie cette étonnante première bande dessinée de Simon Bournel-Bosson, graphiste et directeur artistique qui a notamment travaillé pour les éditions Kiblind. Entre Twin Peaks et Bambi, Les trompettes de la mort est un conte cauchemardesque où le malaise s'instaure progressivement, par petites touches, par des références glissées çà et là (comme celle à la série télé V avec son héroïne croqueuse de souris). Malgré la nature champêtre dans laquelle se déroule la moitié du récit, l'impression de huis clos étouffant est constante. Le décor aux détails soignés et le dynamisme des planches contrastent avec ce chevreuil presque stylisé, à la bonne bouille un peu ronde comme pour mieux signifier son innocence dans ce monde sans pitié. Le trait clair de Simon Bournel-Bosson, ses habiles alternances de plans et ses couleurs très tranchées fonctionnant par paires (orangé/bleu, mauve/bleu...), renforcent l'étrangeté de l'atmosphère. Plus encore que notre rapport ambivalent à la nature, le fantastique souligne ici la difficulté pour un enfant à s'ajuster au monde qui l'entoure.
Les trompettes de la mort
Agrume
Tirage: 6 200 ex.
Prix: 29 € ; 240 p.
ISBN: 9782490975624