Il fut un temps, de solitude extrême, où ne sachant quel pourrait en être le destinataire, Scott Fitzgerald s'envoyait des cartes postales à lui-même. Il s'y donnait de ses nouvelles, en prenait, se rassurait et se promettait de se revoir. Le dernier livre de Chantal Thomas, recueil de chroniques initialement parues pendant quatre ans dans le quotidien Sud Ouest, rassemble aussi à sa manière autant de cartes postales qu'elle s'envoie à elle-même comme à son lecteur. Là aussi, la solitude n'est pas absente, au contraire. Mais elle est chez l'auteure des Adieux à la Reine (Seuil, 2002, prix Femina), tout à la fois recherchée et joyeuse. Peuplée aussi d'autant de voyages, de livres, de tableaux et des rencontres qu'elle fait naître ou qu'elle suscite ici et là. Sans doute y a-t-il tout de même en ces diverses occurrences quelque chose qui pourrait être comme un fond de mélancolie, mais celle-ci est partie prenante du projet littéraire profondément hédoniste de ce livre, et au-delà de l'œuvrede l'auteure.
Voici donc ce qu'on pourrait appeler une balade. Chantal Thomas y pratique volontiers un « marabout de ficelle » enchanteur. Un moine franciscain du XVIe siècle la ramène vers l'Arcachon de son enfance, Thomas Bernhard vers la folie narcissique des réseaux sociaux, les attentats de Paris vers le sens de la fête, un jardin japonais vers d'autres printemps ou le plan de New York vers une rue de Bordeaux. Chaque texte est court, rêveur, presque clandestin. On y retrouve sans peine cette grâce particulière faite de rien, de rien du tout, si ce n'est d'un goût vers la ligne la plus claire possible, qui est la marque de cette auteure, sans conteste parmi les plus grandes de ce temps. Ce sont, de Chantal Thomas, « les plaisirs et les jours ».
Il y a là aussi comme un atlas ou une carte Vidal-Lablache pour rêver aux horizons nécessairement lointains. Chantal Thomas traque sans relâche ce qu'il pourrait y avoir au-delà des nuages. Question d'enfant pour une romancière dont l'enfance est finalement le beau souci premier. Elle va donc y voir du côté de ces lieux qui furent déjà évoqués dans d'autres livres, le Japon et New York d'abord, Buenos Aires, Taïwan et même la Suisse. Partout son érudition gaie l'accompagne. Bref, « Elle est retrouvée l'éternité ».
Café Vivre : chroniques en passant
Seuil
Tirage: 9 000 ex.
Prix: 17 euros ; 208 p.
ISBN: 9782021451740