24 NOVEMBRE - THÉÂTRE France

Cahiers de vie de Laurent Terzieff est un livre à tiroirs que l'on peut ouvrir à n'importe quelle page ou presque. Un grand appartement plein de pièces et de recoins où l'on croise derrière chaque porte la grande carcasse et le visage de martyr touché par la grâce de ce comédien incandescent, monument du théâtre du XXe siècle, disparu en juillet 2010.

Laurent Terzieff sur le boulevard Saint-Germain-des-Prés à Paris.- Photo DR/GALLIMARD

A partir de 108 carnets rédigés entre 1960 et 2000 - "le résiduel », ainsi qu'il appelait les notes qu'il a prises tout au long de sa vie -, Danièle Sastre a choisi et réuni, en les regroupant par thématiques, des textes qui, à l'exception des lettres, n'étaient pas datés. Poèmes écrits en 1950 à 16 ans, portraits d'auteurs admirés, courriers divers (une carte de voeu amicale de François Weyergans, des lettres du dramaturge polonais Slawomir Mrozek, un hommage médiatique de Jean-Pierre Siméon, auteur de Philoctète d'après Sophocle, rôle pour lequel Terzieff reçut en 2010 le molière du Meilleur comédien...), discours-manifestes prononcés à l'occasion de cérémonies ou de manifestations littéraires... Ces carnets qui se lisent comme un journal éclaté, des mémoires en fragments, traversent toute la vie de cet autodidacte, fils d'un sculpteur d'origine russe, qui a fait ses premiers pas sur les planches à 17 ans, signé sa première mise en scène à 24 ans et fondé la compagnie qui portait son nom en 1961 avec sa compagne de vie et sa partenaire de scène, Pascale de Boysson, décédée en 2002.

Ces notes, réfléchies, habitées, permettent de se rendre compte à quel point Terzieff, qui plaçait la poésie au-dessus de tout, s'est attaché à privilégier la langue, servant un théâtre de texte, un répertoire résolument contemporain voire d'avant-garde allant d'Adamov, Beckett aux auteurs anglo-saxons Ronald Harwood, Edward Albee, Murray Schisgal ou James Saunders. On y entend toutes ses voix, y compris celle de l'acteur à la filmographie riche et ouverte, des Tricheurs de Marcel Carné (1958) à Largo Winch 2 (2010), qui se souvient de l'exigence tyrannique de Clouzot sur le tournage de La prisonnière, de la "simplicité » de Buñuel, de Pasolini cherchant son propre cadre sur le tournage d'Ostia de Sergio Citti (1969)...

Mais si l'art et la vie restent, quels que soient les sujets abordés, toujours indissociablement liés, ces écrits dépassent largement le cadre du métier et de ses pratiques. Le sens, la foi, la mort, l'absurdité du monde, la tentation du vide, l'engagement... l'acteur y déploie une véritable esthétique de vie, où la dimension politique est toujours présente : "Le théâtre rend compte en temps réel des problèmes clés de notre temps », note-t-il. Et, à un autre endroit : "Consacrer sa vie au théâtre, ce n'est pas entrer en religion. Au contraire, il faut rester très ouvert à l'existence. Si on ne mène pas sa vie, on ne peut pas la rapporter sur scène. Et on finit par se dessécher. »

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