Savoir perdre. Incipit : « Tandis que mère rendait son dernier souffle, je faisais l'amour dans une chambre d'hôtel. » Bien sûr, Éros et Thanatos, on connaît la chanson. Simplement, là, son interprétation sera de bout en bout superbe. À l'image de ce livre, de ce roman qui bien entendu n'en est pas vraiment un, Ce qu'il reste de nous, le premier traduit (de fort belle façon par David Fauquemberg) de la jeune poétesse espagnole Sara Torres, par ailleurs enseignante en queer studies à l'université de Barcelone.
C'est bien elle, l'héroïne tourmentée entre ses désirs et ses devoirs, entre ce qui fuit et ce qui demeure, de cette rumination vers le ciel, de cette autofiction partagée entre la grâce et la faute. Elle, Sara, donc, de retour dans la capitale catalane après un long séjour londonien. Sa compagne est restée en Angleterre et ne la rejoindra que quelques semaines plus tard. C'est alors qu'elle rencontre une jeune femme avec laquelle elle va vivre une passion totale, charnelle et au-delà, qui la mobilise tout entière. Autant que la mobilise ce qui traverse et innerve sa vie depuis trop longtemps, la maladie de sa mère, un cancer, et bientôt donc, sa mort. Et qui, au cœur de ses égarements lui fait écrire : « Aimer, c'est toujours aimer après ma mère. Et elle exigeait l'amour unique. Là fut ma trahison. Ne pas faire en sorte qu'elle se sente la souveraine, l'unique. Être fascinée par le monde des autres femmes. Être "obsédée" (comme elle le formulait) par les autres femmes. Des obsessions cycliques, des amours itinérantes. » Tout à chaque instant se meurt toujours, les couples, l'enfance et l'amour d'abord. Reste l'attraction des corps et le goût des textes pour dire cette perte.
Il y a quelque chose de Sontag, du Barthes des Fragments, de la Iris Murdoch de La mer, la mer (explicitement citée) dans cette promenade avec l'amour et la mort. Bousculant la chronologie, allant sans cesse au plus près de la corne du taureau, Sara Torres mène son affaire avec une liberté folle, endeuillée, se jouant de toutes les figures de style. Elle ne se soucie pas d'être moderne, elle l'est. Radicalement. Pour dire les corps, mais aussi les paysages, les plages, les voyages, le plaisir et son souvenir, son écriture est solaire et sensuelle. Un manuel enchanté du savoir-perdre...
C'est ainsi
La Croisée
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 21,10 € ; 256 p.
ISBN: 9782413081777