Revenir à lui. Journaliste littéraire, écrivain aussi, François Dufay était de la race, que l'on peut craindre désormais en voie d'extinction, de ces lecteurs qui ne s'en laissent pas conter. Ni par les oukases des temps, ni par les effets délétères des modes. C'était une vigie modeste et sûre de la justesse de son regard. Il a disparu brutalement et précocement, à l'âge de 46 ans, lors de vacances en famille à la montagne. Qui s'en souvient ? Seuls ceux qui savent aimer conservent la mémoire de ceux à qui, avant eux, pareille grâce fut accordée...
Parmi ceux-là, par communauté de sensibilité autant que par devoir filial, le fils de François, Samuel Dufay − qui a par ailleurs exercé, comme son père avant lui, ses talents de journaliste à L'Express. La preuve en est avec ce court Plaidoyer pour le rêve, enchanté et endeuillé à la fois, par lequel il signe une entrée, rêveuse donc, en littérature. En quête autant de père que de repères, l'auteur s'en va furetant tant dans ses souvenirs que dans l'onirisme estompé de ses lieux de mémoire. Un Paris désert qui pourrait ressembler à un dessin de Pierre Le-Tan, une fuite vers Londres, vers les vacances de l'enfance en Pays basque, vers une grand-mère qui écrivait des poèmes et avait connu Blaise Cendrars : un voyage en douce. Tout lui revient en même temps que la douleur, sous les auspices choisis de Nestor Burma (moins les livres de Léo Malet à vrai dire, que la série télévisée éponyme où Guy Marchand prêtait ses traits et son indolence charmeuse au fameux détective). Ainsi qu'il convient aux jeunes gens bien nés, Dufay rentre dans la carrière le regard fixé dans le rétroviseur. Il flotte çà et là sur ce Plaidoyer un air de Nouvelle Vague, de compagnonnage avec Antoine Doinel. Comme chez Modiano, la topographie est une leçon de choses et de style. Alors, si elle est jamais retrouvée, l'éternité, si c'est bien un rêve dont il est ici question, alors ce songe-là est de ceux que l'on fait les yeux grand ouverts. De ceux qui revenant vers ces chers fantômes, revenant vers lui, ramènent toujours à soi, à sa vérité première. Pour Samuel Dufay, ce sera l'écriture. Bon sang ne saurait...
Plaidoyer pour le rêve
Grasset
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 14 € ; 120 p.
ISBN: 9782246835479