Bien que dominé par le fonds et quelques séries phares, le marché du roman 8/12 ans draine chaque année une production prolifique, chaque éditeur espérant publier la prochaine série à succès. Deuxième du marché jeunesse en valeur, au coude à coude avec les albums, le segment du roman 8/12 ans compte aussi parmi les plus touchés par le ralentissement des ventes au cours de l'année écoulée. En recul de 11,7 % en valeur selon GFK, son attractivité reste néanmoins forte. Si le classement des meilleures ventes est dominé par les stars du rayon (J. K. Rowling, Jean-Claude Mourlevat, Michael Morpurgo...), les classiques de la littérature jeunesse (Le petit prince, Vendredi ou la vie sauvage, Le club des cinq...) et quelques séries incontournables (La guerre des clans, Le journal d'un dégonflé, Les royaumes de feu, Le monde de Lucrèce, Kinra Girls, Quatre sœurs, Chien pourri...), les éditeurs publient chaque année de nombreuses nouveautés qui, sans rivaliser avec les leaders, dépassent régulièrement les 5 000 exemplaires vendus au titre. 

Ce dynamisme est particulier à la tranche d'âge des 8/12 ans. « Les enfants ne lisent jamais autant qu'à cet âge, il y a une vraie appétence pour la lecture à laquelle nous nous efforçons de répondre », rappelle Céline Dehaine, directrice de Flammarion Jeunesse. Conséquence de cet engouement, les éditeurs ont développé des catalogues énormes : Flammarion Jeunesse dénombre une quinzaine de séries actives, sans compter les titres uniques, et vient d'en lancer deux nouvelles : La petite meute et Les gardiens de la Terre. Chaque année, des concepts inédits voient le jour : début 2023, Gallimard Jeunesse mise par exemple sur Chroniques des royaumes invisibles ; de la même manière, Milan Jeunesse a inauguré en mars dernier la collection « 7 lieues », tandis que Bayard Jeunesse annonce Les clans du ciel et la série fantastique Twin Crowns. L'éditeur étoffe également son offre de romans docs avec la nouvelle série « Mes premiers romans-doc », à paraître en mars. 

Manque de romance

Chez Edi8, Poulpe Fictions continue de développer la collection « Les grandes aventurières vues par un ado » et vient de lancer la série de romance Cœurs papillons, par Cassandra O'Donnell. « Il y a peu de romance pour les jeunes lecteurs, nous allons suivre sa réception », indique Alexandra Bentz, directrice générale adjointe d'Edi8. À L'École des Loisirs, la série à succès Chien pourri, qui fêtera ses 10 ans en 2023, approche des 2 millions d'exemplaires vendus. Elle publiera un 18e titre en février : Le grand fourre-toutou. Dans la collection « Neuf », l'éditeur annonce également une suite au premier roman à succès de Mickaël Brun--Arnaud, Mémoires de la forêt. Au sein de la collection « Éclair+ » lancée début 2022 par Auzou, les séries Les influenceuses et Ours ont trouvé leur public et confortent l'éditeur dans son intention de renforcer son implantation : « Nous allons augmenter la production en 2023 », confirme Gauthier Auzou, le président. 

Cette effervescence ne saurait pourtant faire oublier le risque de saturation du marché. « Tous les éditeurs ont beaucoup produit, on peut s'attendre à un freinage brutal des ventes tel que cela s'est vu en Grande-Bretagne », redoute Marion Jablonski, directrice d'Albin Michel Jeunesse. L'éditeur a, lui aussi, quelques séries phares en catalogue, telles Célestine, petit rat de l'opéra (plus de 500 000 exemplaires vendus en quatre ans) ou les multiples déclinaisons de Géronimo Stilton, mais il a aussi bénéficié cette année de la vigueur du roman ado. 

Enfin, le roman 8/12 ans doit composer avec la concurrence croissante des ouvrages explicitement parascolaires. Lancée au printemps 2021, la série « Mes premiers romans » de la collection reine du parascolaire « Sami et Julie » témoigne de l'entremêlement des genres... quand ce ne sont pas les éditeurs jeunesse eux-mêmes qui empruntent les codes du parascolaire : chez Flammarion Jeunesse, les séries de romans « Je suis en », allant du CP au cours moyen, sont publiées au sein de « Castor Poche » et cumulent près de 5 millions d'exemplaires vendus depuis leur création. 

TikTok, meilleur prescripteur

Imprévisible et incontrôlable, le réseau social TikTok crée la tendance en librairie au rayon des romans ados. Au Cultura de Gennevilliers, une demi-table est par exemple consacrée à Captive, de Sarah Rivens (Hachette Romans). Le titre, paru fin août, a bénéficié d'un buzz immédiat grâce au hashtag #Booktok. « Beaucoup d'ados le réclament parce qu'ils l'ont vu sur TikTok, confirme Yann Adingra, responsable de rayon. Nous avons été en rupture pendant deux semaines, le temps que l'éditeur adapte son tirage. » De la même manière chez Albin Michel Jeunesse, Ashes falling for the sky de Nine Gorman et Mathieu Guibé, paru en 2018, avait déjà vu ses ventes exploser en 2021. « Le livre a été repéré sur TikTok, son redémarrage a été une surprise pour nous », concède Marion Jablonski, la directrice, qui n'en développe pas moins une politique d'éditeur en lien avec le réseau social chinois. Le titre arbore désormais un bandeau « Le phénomène TikTok » et Albin Michel Jeunesse annonce pour janvier la parution de son préquel, Just wanna be your brother. Tous les éditeurs jeunesse surfent sur la tendance. Hachette Romans a été le premier éditeur à créer un compte TikTok (dès 2020) et a depuis été suivi par une trentaine d'autres. De son côté, TikTok s'est rapproché cet automne des groupes d'édition (Hachette Livre, Editis...) pour leur proposer un accompagnement des auteurs et en librairie.

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