Cette biographie de Jean Cayrol par le journaliste Michel Pateau, ci-devant son neveu par alliance, est tout sauf convenue. Certes l'auteur restitue avec précision la trajectoire terrestre de son sujet, en donnant toute sa place à ce qui en fut sans doute l'épisode le plus marquant : sa déportation en 1942 au camp de Mauthausen pour faits de résistance contre l'occupant nazi. Mais il essaie surtout de cerner dans toute sa diversité, sa richesse, un homme et son oeuvre, considérable, en particulier sa poésie, à quoi il tenait plus que tout. Une oeuvre que Claude Durand, qui fait partie des témoins convoqués ici et qui a bien connu Cayrol, qualifie judicieusement dans sa préface de "précis de désobéissance aux normes, à l'usage des jeunes générations".
Ce qui frappe chez cet homme, et ressort de tous les hommages que lui rendent ceux qui furent au Seuil ses poulains primés, ses enfants (comme Michel Braudeau, Jean-Marc Roberts, Patrick Grainville ou encore Didier Decoin, lequel, en outre, lui succéda à l'Académie Goncourt en 1995 - Cayrol, trop âgé et trop fatigué, s'étant retiré dans sa maison dordognaise de Pujols), c'est sa simplicité, sa modestie, son humour.
Cet humour qui, par exemple, le faisait se rajeunir d'un an, prétendant être né à Bordeaux en 1911 au lieu de 1910, parce que les vendanges y furent meilleures. Nombre de dictionnaires d'écrivains se sont laissés piéger ! Autre espièglerie : à la fin de sa vie, quand des journalistes l'interviewaient sur son parcours d'exception, sur sa déportation, ou sur son rôle d'éminence grise de l'édition française (aussi efficace, à sa façon, qu'un Paulhan), il répondait qu'il avait bien "rigolé" à Mauthausen, et qu'il se considérait comme un "plombier-zingueur". Ou encore, bien plus "rock-Cayrol" qu'on ne pouvait le croire, il confiait sa passion pour les Beatles et la grande chanson française, les Voulzy, Souchon, Jonasz ou Chedid - Louis, le fils de la poétesse Andrée. Peu de gens savent d'ailleurs qu'il a lui-même écrit une quinzaine de chansons, notamment pour Juliette Gréco. Il y avait, chez Cayrol, du Mauriac et du Queneau, un côté vieil enfant qui s'amuse, turbulent et charmeur, qu'il a essayé de préserver jusqu'au bout de sa longue route, puisqu'il est mort en février 2005.
Son dernier poème, dicté à sa femme Jeanne, remonte à octobre 2000, et s'intitule Paroles en l'air. Tout un symbole pour cet homme qui vivait par et pour la poésie, comme il croyait en Dieu, naturellement. L'une de ses plus grandes joies fut de voir rassemblés en 1988 par Le Seuil, la maison à qui il avait tant donné, cinquante ans de son ?uvre poétique en un pavé de 830 pages ! C'est par ce livre, certainement, si l'on veut connaître à la fois l'homme et l'écrivain, qu'il faut commencer notre voyage en Cayrolie, avec la biographie de Michel Pateau comme vade-mecum.