Essai

Roberto Calasso, «Ce qui est unique chez Baudelaire » (Les Belles Lettres/Musée d'Orsay) : Baudelaire ad vitam

Roberto Calasso - Photo DR

Roberto Calasso, «Ce qui est unique chez Baudelaire » (Les Belles Lettres/Musée d'Orsay) : Baudelaire ad vitam

L'écrivain et éditeur italien Roberto Calasso, récemment disparu, n'en avait jamais fini avec l'auteur des Fleurs du mal. Essai posthume sur le poète. Tirage à 3000 exemplaires.

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Par Sean Rose,
Créé le 12.11.2021 à 14h51

Charles Baudelaire est né le 9 avril 1821. Roberto Calasso est mort le 28 juillet 2021. Pour le bicentenaire du poète des Fleurs du mal, le musée d'Orsay organise une saison Baudelaire sous la houlette du philosophe Donatien Grau, faite de manifestations culturelles, cycles de conférences et publications, dont le présent essai de l'écrivain et éditeur italien récemment disparu, Ce qui est unique chez Baudelaire. L'auteur du magistral La Folie Baudelaire déplie dans ces pages posthumes une ultime analyse au prisme de l'ennui tel que l'entendit et le vécut le poète et critique d'art du XIXe siècle. L'ennui baudelairien, c'est l'abîme qui sépare le réel et l'intelligence qui le perçoit. Spleen et idéal. La mélancolie naît de l'impuissance de l'idée à s'incarner. Mais l'intelligence du poète n'est pas de ces intellects qui ratiocinent, elle est « d'un genre nouveau, fondée sur les nerfs. » Et Calasso de préciser : « Mis à nu, les nerfs étaient le nouveau sensorium, le dernier fond - labile - sur lequel s'appuyer. »

Comparés à l'écriture prométhéenne (parfois enflée de vaine gloire) d'un Victor Hugo ou à la belle ouvrage quelque peu chantournée d'un Théophile Gautier, les vers de Charles Baudelaire vibrent d'une vérité neuve, convoquent des images justes et belles, peignent des allégories qui enfantent de divines essences, nous font apparaître d'éblouissantes épiphanies. Baudelaire, c'est selon Jules Laforgue, « le mot charmant appliqué à des choses équivoques ». Paul Valéry parle de « sensualité raisonnée ». Calasso, quant à lui, souligne que « cette certaine manière de juger, qui s'écarte de l'esthétique et des nerfs pour se frayer un chemin vers une métaphysique clandestine, a une résistance au temps semblable à celles des équations et des théorèmes ». L'alchimiste transforme la fange du quotidien en or de l'éternité. Sur la putréfaction des choses vouées à la mort s'épanouissent les fleurs de la beauté. Rien qui ait une forme sensible ne lui est étranger. Là est toute la modernité de Baudelaire pour qui il n'y a pas de sujets spécifiquement poétiques. La beauté du moderne n'est pas une célébration de la technique ou de la raison scientifique, c'est de voir de l'essentiel dans ce qui n'est pas pérenne.

Victime d'un siècle industrieux et âpre au gain, lamentablement bourgeois, il est l'amateur d'art qui loue le « peintre de la vie moderne », Constantin Guys, le dandy qui aime les gravures de mode et fait l'éloge du maquillage. Car séduisant est le diable qui se niche dans les détails. Baudelaire traque « l'oscillation du détail le plus éphémère au ciel des idées. » Baudelaire traducteur, ou plutôt merveilleux adaptateur d'Edgar Poe (tant la translation de l'univers mental de l'Américain au sien est réussie) ; Baudelaire au bordel, une institution qu'il respecte tant qu'il s'y précipite pour offrir à sa tenancière le premier exemplaire de son premier livre, la traduction des Histoires extraordinaires de Poe... Roberto Calasso raconte aussi la vie de son poète français de prédilection. Et on ne laisse pas d'admirer cette façon de tresser la biographie, l'analyse et l'érudition afin de nous faire goûter la littérature au tamis d'un regard unique, lui aussi.

Roberto Calasso
Ce qui est unique chez Baudelaire Traduit de l'italien par Donatien Grau
Les Belles Lettres/Musée d’Orsay
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 15 € ; 96 p.
ISBN: 9782251452449

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