"Acceptez-vous de me parler de l’âme ?" demande, dans une lettre à François Cheng, une femme artiste qu’il n’a pas revue depuis leur rencontre trente ans plus tôt. L’académicien relève le défi en sept lettres-réponses tout en commençant par reconnaître que c’est un sujet souvent tenu pour "ringard" chez les intellectuels, au privilège du dualisme corps-esprit, "l’on tente d’oblitérer, au nom de l’esprit en sa compréhension la plus étroite, toute idée de l’âme - considérée comme inférieure ou obscurantiste".
Il s’agit donc pour François Cheng de repenser la définition de l’âme et de lui retrouver une place, comme l’une des trois entités "complémentaires et solidaires" dans ce "principe ternaire qui régit le fonctionnement de notre être incarné par la triade corps-âme-esprit". Il attribue "le rôle central" au corps, en particulier dans la philosophie et les sciences, à l’esprit qu’il entend comme "cette capacité dont l’être humain est doué, qui lui permet de comprendre et rationaliser sa vie", et "le rôle fondamental" à l’âme, "terreau natif des désirs et de la mémoire", qui trouve son expression dans la poésie, la peinture ou la musique.
Fidèle à son souci d’établir des ponts entre Orient et Occident, le poète qui a consacré l’un de ses derniers ouvrages à sa rencontre avec la figure de François d’Assise (Assise, Albin Michel, 2014), revient sur les conceptions de l’âme dans les grandes traditions spirituelles. Il entremêle méditations et souvenirs d’enfance, la vue d’un serpent, enfant, lors d’un exode tragique, un état inconscient après une chute dans une rue parisienne, la sensation de la soif éprouvée dans une tempête près du désert de Gobi, un lever de soleil sur une montagne du sud de la Chine… Ainsi avance-t-il, ouvert et humble, accompagné de Descartes, Le Clézio, Bachelard et de la philosophe Simone Weil à qui il consacre l’intégralité de la sixième lettre. Livrant à sa correspondante des conseils de lecture, il emprunte à Hildegarde de Bingen l’une des belles images qui traversent ce bref essai réfléchissant : "le corps est le chantier de l’âme où l’esprit vient jouer ses gammes". Véronique Rossignol
