Emmanuel Carrère et Eric Reinhardt, souvent en une de la presse littéraire de la rentrée, prennent la tête ex aequo du classement des critiques, avec David Foenkinos, cinquième de nos listes des meilleures ventes, derrière Amélie Nothomb (2e) et Grégoire Delacourt (4e), respectivement pas ou peu cités. A l’inverse de ses deux challengers, Emmanuel Carrère, qui signe "le livre majeur de la rentrée" pour Nathalie Crom, fait pourtant figure de grand absent de la liste des Goncourt au grand dam d’Olivia de Lamberterie, "outrée". La vraie surprise vient d’un autre titre des éditions P.O.L, le premier roman de Mathias Menegoz, Karpathia, "fascinant, flamboyant" pour Bernard Babkine et à qui Bernard Lehut offre même "le trône des débutants". Les Goncourt ne s’y sont pas trompés, qui l’ont sélectionné.
Citant majoritairement des romans français, nos 21 critiques sollicités n’en ont désigné que 55 sur les 404 nouveautés de la rentrée. Parmi ces titres cités, huit sont déjà dans notre liste des meilleures ventes sur la quinzaine de nouveautés françaises qui y figurent, prouvant l’influence positive des médias sur les ventes. Au vu des résultats de notre enquête, on peut s’attendre à une montée en puissance des ventes des romans d’Eric Vuillard (Tristesse de la terre, Actes Sud), "absolument brillant" pour Augustin Trapenard, d’Alma Brami (J’aurais dû apporter des fleurs, Mercure de France), "pour l’écriture", dit Brigitte Kernel, d’Elisabeth Filhol (Bois II, P.O.L), "l’uppercut de la rentrée" selon Pierre Vavasseur, ou encore celui de Leïla Slimani (Dans le jardin de l’ogre, Gallimard), sélectionné pour le prix de Flore.
Placés dans le peloton de tête par les critiques, les livres de David Foenkinos et de Frédéric Beigbeder, Charlotte et Oona & Salinger, symbolisent la place occupée en cette rentrée par le mélange de la biographie et du roman, que la plupart des critiques remarquent. "Quand la légende est plus belle que la réalité, imprimez la légende", nous assure France Cavalié citant John Ford. "Quand la vérité dépasse cinq lignes, c’est un roman", dit encore, citant Jules Renard, François Busnel qui consacrera son émission du 9 octobre à la biographie romancée, sur laquelle le débat est loin d’être clos.
Plurielle, effervescente, roborative…
Sabine Audrerie, La Croix
C’est une rentrée littéraire très riche, avec ses auteurs confirmés (Olivia Rosenthal, Emmanuel Carrère, Laurent Mauvignier…) et de belles découvertes : les premiers romans de Philippe Bordas (Chant furieux, Gallimard) et Mathias Menegoz (Karpathia, P.O.L), mais aussi les livres d’auteurs plus confidentiels, comme Jean-Yves Jouannais (Les barrages de sable, Grasset), Eric Chauvier (Les mots sans les choses, Allia) et Xavier Boissel (Rivières de la nuit, Inculte), qui tous trois mènent une œuvre singulière, entre littérature et sciences humaines. Je saluerai aussi la parution de la correspondance de Nicolas de Staël aux éditions Le Bruit du temps.
Bernard Babkine, Marie France, Madame Figaro
Coups de cœur : Charlotte de David Foenkinos. Il nous avait longtemps habitués à des comédies drolatiques et sentimentales, ici il change de ton en communiquant sa passion pour Charlotte Salomon dans un style très particulier, une sorte de long poème en prose qui nous embarque. J’ai également trouvé fascinant le premier roman Karpathia de Mathias Menegoz (P.O.L), flamboyant.
La rentrée : Cette avalanche de biographies romancées m’a impressionné, c’est très français. Cela permet de parler de gens sans risque de procès.
Jean Birnbaum, Le Monde des livres
Coups de cœur : outre le Carrère, qui domine cette rentrée, saluons le Donner, vif et efficace, Faux nègres de Thierry Beinstingel (Fayard), où s’énonce le malaise français, entre dislocation de la langue et émiettement du roman national, La condition pavillonnaire de Sophie Divry (Noir sur blanc), sur les renoncements d’une Bovary contemporaine, et enfin le Debout-Payé de Gauz (Le Nouvel Attila), réjouissante surprise de cette rentrée, qui campe la figure du vigile en statue de la liberté.
La rentrée : elle est encombrée sans être bloquée. Comme si la présence (trop ?) massive d’écrivains de renom, loin d’écraser la rentrée, permettait au contraire à d’autres plumes d’apparaître et de rayonner.
Jean-Christophe Buisson, Figaro Magazine, RTL, France Inter, BFM TV, Histoire.
Coups de cœur : Les romans de Clara Dupont-Monod, d’Adrien Bosc, de Serge Joncour et de Benoît Duteurtre. Des romans ancrés dans l’Histoire : ancienne (le bas Moyen Age), contemporaine (le milieu du XXe siècle), immédiate et postmoderne. Des textes relativement courts, très travaillés stylistiquement, aux frontières du récit, du témoignage, de la fiction, de la fable… Ils sont à l’image d’une rentrée par ailleurs riche en biographies romancées. Beaucoup d’écrivains ont compris combien la réalité pouvait être un merveilleux support pour l’imagination et une meilleure matière littéraire que leur nombril.
François Busnel, La Grande Librairie, L’Express, Lire
Coups de cœur : les écrivains que j’invite tous les jeudis soirs à 20 h 35… Dans le désordre : Eric Reinhardt, Emmanuel Carrère, Joy Sorman, Sylvain Prudhomme, Leïla Slimani, Eric Vuillard… Et beaucoup d’autres !
La rentrée : Excellente !
France Cavalié, Télé 7 jours
Coups de cœur : Oona & Salinger de Frédéric Beigbeder, réjouissante reconstitution érudite et personnelle, Le bonheur national brut de François Roux, saga moderne ancrée entre deux drapeaux, le 10 mai 1981 et le 6 mai 2012, Charlotte, le bouleversant poème en prose de David Foenkinos.
La rentrée : une rentrée aux valeurs sûres et variées. D’Emmanuel Carrère à Grégoire Delacourt, en attendant, en octobre, les mafieux et drag-queens de Philippe Djian, la nouvelle déambulation de Patrick Modiano ou le scénariste "au bord du monde" de Dan Franck.
Nathalie Crom, Télérama, France Culture
Coups de cœur : Le Royaume d’Emmanuel Carrère s’impose comme le livre majeur de cette rentrée. Par la singularité du projet littéraire qui le sous-tend, par l’ambition du geste de l’écrivain, sa réussite. Avec lui, Olivier Rolin, Eric Reinhardt, Christophe Donner, Antoine Volodine - et j’en oublie sûrement.
La rentrée : réjouissante, généreuse, tonique. Avec des têtes d’affiche qui ne déçoivent pas, des auteurs moins connus qui confirment (Sylvain Prudhomme, Eric Vuillard, Jean-Yves Jouannais), des premiers romans formidables (Adrien Bosc, Nelly Kaprièlian), de grandes traductions…
Marie-Laure Delorme, Le Journal du dimanche
Coups de cœur : Le météorologue d’Olivier Rolin et L’amour et les forêts d’Eric Reinhardt me semblent au-dessus de la mêlée. Il y a les écrivains qui s’arrogent tous les droits, comme Christophe Donner ou Emmanuel Carrère, et il y a les écrivains qui se donnent des devoirs, comme Olivier Rolin ou Eric Reinhardt. J’ai une inclination particulière pour les écrivains du devoir.
La rentrée : on peut rendre toute rentrée passionnante, si l’on va ailleurs. J’ai préféré Ce qui reste de nos vies de Zeruya Shalev au Ravissement des innocents de Taiye Selasi.
Catherine Fruchon, RFI
Coups de cœur : mon grand coup de cœur est Le fils de l’Américain Philipp Meyer, c’est d’ailleurs plus un coup dans le ventre qu’on ressent à la lecture.
La rentrée : pour moi, c’est une rentrée très riche, trop même. Non par le nombre de publications, cent de moins ou de plus ça ne changerait presque rien, mais parce qu’il y a une soixantaine de livres que j’aimerais défendre et que, au final, je n’aurai de la place, au mieux, que pour une trentaine d’auteurs.
Fabrice Gaignault, Marie Claire
Coups de cœur : Et rien d’autre de James Salter (L’Olivier), Dans le jardin de l’ogre de Leïla Slimani (Gallimard), Oona & Salinger de Frédéric Beigbeder (Grasset).
La rentrée : il y a des trucs formatés pour les prix un peu copieux et roboratifs. On relève aussi une tendance à se réfugier dans la biographie romancée qui pose plein de questions sur l’imagination.
Thierry Gandillot, Les Echos, Radio Classique
Coups de cœur : Karpathia de Mathias Menegoz, Peine perdue d’Olivier Adam, Le Royaume d’Emmanuel Carrère, Charlotte de David Foenkinos, L’île du Point Némo de Jean-Marie Blas de Roblès, Tristesse de la terre d’Eric Vuillard et aussi Dans l’éternité je ne m’ennuierai pas de Paul Veyne.
La rentrée : j’ai été un peu déçu par les romans des "poids lourds" annoncés, à l’exception d’Olivier Adam et d’Emmanuel Carrère. Cette année, il faut plus que jamais aller à la recherche de la perle rare… Et il y en a… La rentrée est plus ouverte que jamais.
Olivia de Lamberterie, Elle, France 2, Europe 1
Coups de cœur : Le Royaume d’Emmanuel Carrère (P.O.L) et Le ravissement des innocents de Taiye Selasi (Gallimard).
La rentrée : un peu crépusculaire. Et je suis outrée que le livre de Carrère, qu’on peut aimer ou pas, dont on a le droit de discuter les partis pris, mais qui est tellement plus intéressant et singulier que la majorité des romans, ne figure pas sur la liste du Goncourt.
Philibert Humm, Paris Match
Coups de cœur : Aurélien Delsaux et sa vieille folle, Gautier Battistella pour son Rubempré d’aujourd’hui, mais aussi Boris Le Roy, Christian Authier, Olivier Maulin…
La rentrée : riche de tous ces auteurs (600 et des brouettes) qui dépasseront bientôt en nombre les lecteurs ! Mais assez pauvre, je crois, de "primo-romanciers", moins nombreux cette année, ce qui n’est sans doute pas très bon signe : il faut en première ligne de la chair fraîche plutôt que du vieux caporal.
Brigitte Kernel, France Inter
Coups de cœur : je ne m’attendais pas à aimer à ce point Oona & Salinger de Beigbeder. Le noceur ne s’affiche plus éternel ado, mais (enfin !) adulte par son recul. Coup de cœur aussi pour Peine perdue d’Olivier Adam, plein d’empathie vis-à-vis des plus modestes, Charlotte de David Foenkinos pour la forme, et enfin, pour l’écriture, Pas pleurer de Lydie Salvayre, Les tribulations du dernier Sijilmassi de Fouad Laroui, J’aurais dû apporter des fleurs d’Alma Brami et L’histoire d’un amour de Catherine Locandro. évidemment, cette sélection n’est que partielle, je n’ai lu qu’une trentaine d’ouvrages pour l’instant.
La rentrée : Une rentrée plurielle avec cette surprise : la vogue de biographies romancées. Qui me ravit !
Aude Lancelin, Le Nouvel Observateur
Coups de cœur : Proclamation sur la vraie crise mondiale de François Meyronnis (Les Liens qui libèrent) et Mourir de penser de Pascal Quignard (Grasset).
La rentrée : les grands noms annoncés n’ont pas tenu toutes leurs promesses… Tant mieux. Cela laisse la place à de vraies découvertes, et le jeu est plus ouvert que jamais.
Bernard Lehut, RTL
Coups de cœur : Charlotte de David Foenkinos, une prise de risque réussie et une victoire de la littérature sur l’oubli et la barbarie. Peine perdue d’Olivier Adam, le vrai ratage de la première sélection du Goncourt. Jacob, Jacob de Valérie Zenatti, l’une des plus belles écritures de la rentrée. Karpathia de Mathias Menegoz, à lui le trône au royaume des débutants !
La rentrée : une rentrée dans une bonne moyenne, riche et variée, qui atteste la vitalité, la souplesse et le renouvellement permanent du roman, ce genre omnivore.
Etienne de Montety, Le Figaro littéraire, France Culture
Coups de cœur : en français, Christophe Donner qui signe un livre très vivant, très rythmé, avec des énergies, un livre épatant au titre déconcertant. En étranger, Les réputations de Juan Gabriel Vasquez, un remarquable livre dans lequel un caricaturiste fait et défait les réputations et se retrouve pris à son propre piège.
La rentrée : la rentrée est indéfinissable, déconcertante, rien ne se dessine vraiment et les livres que j’ai aimés ne sont pas forcément ceux que l’on m’a conseillés.
Daniel Martin, La Montagne
Coups de cœur : Le triangle d’hiver de Julia Deck (Minuit), Les grands de Sylvain Prudhomme (L’Arbalète), L’écrivain national de Serge Joncour (Flammarion), L’amour et les forêts d’Eric Reinardt (Gallimard), Mécanismes de survie en milieu hostile d’Olivia Rosenthal (Verticales).
La rentrée : riche, ouverte, passionnante avec la confirmation de nouvelles valeurs (Sylvain Prudhomme, Julia Deck, Elisabeth Filhol, Minh Tran Huy), l’effondrement de valeurs dépassées (Olivier Adam, Laurent Mauvignier), de "vieux routiers" au mieux de leur forme (Serge Joncour, Lydie Salvayre, Patrick Deville, Olivier Rolin), de belles découvertes (Nelly Kaprièlian) et toujours Olivia Rosenthal plus radicale, plus impeccable que jamais.
Christophe Ono-dit-Biot, Le Point, France Culture
Coups de cœur : spontanément, Viva de Patrick Deville (Seuil) et L’enlèvement de Michel Houellebecq de Guillaume Nicloux. C’est un film, certes, mais c’est une extension fascinante de la rentrée littéraire.
La rentrée : je la trouve pleine de bonnes choses, regorgeant d’ambition. Carrère ne déçoit pas, des premiers romans surprennent. Elle montre que la littérature française n’est pas morte.
Augustin Trapenard, France Inter, Canal+
Coups de cœur : Morteparole de Jean Védrines (Fayard) qui ravive avec panache la langue française. L’amour et les forêts d’Eric Reinhardt (Gallimard) qui me trotte encore dans le ventre. Et Tristesse de la terre d’Eric Vuillard (Actes Sud) que je trouve absolument brillant.
La rentrée : effervescente, éclectique et décoiffante. C’est vrai, les difficultés du marché se ressentent dans la production éditoriale qui semble capitaliser sur des valeurs sûres - mais si l’on fait des pas de côté, on peut encore être surpris.
Pierre Vavasseur, Le Parisien
Coups de cœur : Elisabeth Filhol pour Bois II, chez P.O.L. Il serait fort dommage que ce roman au titre certes un peu sec soit emporté avec l’eau du bain. L’uppercut de la rentrée. Charlotte de Foenkinos : découverte, simplicité, innovation. Grégoire Delacourt, avec cette deuxième partie qui danse sur les braises. Et aussi Marie-Hélène Lafon, Alma Brami, Eric Reinhardt.
La rentrée : vivifiante, innovante, mutine, maline, audacieuse, surprenante. Les auteurs retroussent leurs manches, prennent des risques et vont explorer d’inédits territoires. Exemple de cet excitant remue-ménage et méninges d’automne, quoique le livre en rajoute un peu trop dans la fanfare lexicale, le Chant furieux de Philippe Bordas.
Les chouchous de nos critiques
6 coups de cœur
Emmanuel Carrère, Le Royaume (P.O.L) ; David Foenkinos, Charlotte (Gallimard) ; Eric Reinhardt, L’amour et les forêts (Gallimard)
4 coups de cœur
Mathias Menegoz, Karpathia (P.O.L)
3 coups de cœur
Olivier Adam, Peine perdue (Flammarion) ; Frédéric Beigbeder, Oona & Salinger (Grasset) ; Christophe Donner, Quiconque exerce ce métier stupide mérite tout ce qui lui arrive (Grasset) ; Eric Vuillard, Tristesse de la terre (Actes Sud)
2 coups de cœur
Alma Brami, J’aurais dû apporter des fleurs (Mercure de France) ; Patrick Deville, Viva (Seuil) ; Elisabeth Filhol, Bois II (P.O.L) ; Serge Joncour, L’écrivain national (Flammarion) ; Olivier Rolin, Le météorologue (Seuil) ; Leïla Slimani, Dans le jardin de l’ogre (Gallimard)