Série d'été 2024

[Rentrée littéraire 1/5] Aurélien Bellanger, mythographe du politique

Aurélien Bellanger - Photo Bénédicte Roscot

[Rentrée littéraire 1/5] Aurélien Bellanger, mythographe du politique

Le nouveau livre d’Aurélien Bellanger, Les derniers jours du Parti socialiste, imagine un apparatchik du PS s’alliant à deux intellectuels et se donnant pour mission de sauver la République sur fond de peur de l’islam radical.

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Par Sean Rose
Créé le 11.07.2024 à 16h02 ,
Mis à jour le 18.07.2024 à 16h35

Livres Hebdo : Pourquoi la politique comme matériau de la fiction ? Et le Parti socialiste en particulier ?

Aurélien Bellanger : L’histoire immédiate m’intéresse, elle est un bon domaine à explorer pour le roman. Ces choses que tout le monde a vécues, dont on se souvient et qui, comme les sujets de mes précédents livres, le TGV, le Minitel, etc., s’assimilent à des mythologies. Pour les gens de la quarantaine comme moi et qui ont grandi dans un milieu de gauche, le PS était une mythologie, quelque chose qui avait toujours été là et était censé toujours exister dans une sorte de bipartition anthropologique entre la gauche et la droite, dans ce sempiternel mouvement de balancier de l’alternance politique. Mais cette mythologie a disparu corps et biens en 2017, d’où le titre de mon roman Les derniers jours du Parti socialiste.

2017, le grand chamboule-tout de l’élection d’Emmanuel Macron… 

Oui, tout a volé en éclats. Alors que la gauche était revenue au pouvoir après Sarkozy sous la présidence de Hollande, après cinq ans à l’Élysée Hollande n’est pas en capacité de se représenter, le Parti socialiste fait un score très faible à l’élection présidentielle et donne l’impression d’avoir disparu. Le monde politique des années 1980 est devenu un champ de ruines et j’ai eu le désir d’en faire l’archéologie. Le secrétaire du PS dans mon livre est agacé, il a du mal à se dire que l’échec est dû au seul génie politique de Macron. Il y avait quand même, selon lui, quelque chose de pourri au Parti socialiste… J’ai poussé la logique de cette réflexion au maximum. Entre la véracité historique et l’invention romanesque, j’imagine ce qui a tué le PS : comment un courant laïcard minoritaire a sabordé ce parti. Un courant qui pourrait être défini comme orwellien, souverainiste, conservateur…

« Le roman n’est pas le lieu de la vérité mais de l’idéologie, au sens large, c’est-à-dire des idées qui se confrontent »

Comment vous est venue l’idée de ce trio composé de deux philosophes aux antipodes et d’un ombrageux second couteau du PS ?

Le roman n’est pas le lieu de la vérité mais de l’idéologie, au sens large, c’est-à-dire des idées qui se confrontent. J’ai imaginé la rencontre d’un apparatchik socialiste, homme de l’ombre, qui a toujours échoué à être élu, avec deux philosophes, l’un voltairien et germanopratin rompu aux dîners en ville et aux plateaux télé, l’autre enraciné, limite Maurassien, apologue d’une France terrienne, éternelle… comme deux facettes d’une certaine pensée française. Ces trois-là vont s’allier pour lancer leur mouvement. Pour épicer le tout : s’ajoute à cela une confrérie occulte qui ne cesse de tweeter, une sorte de franc-maçonnerie 2.0, anticléricale et farouche défenseuse de la libre pensée.

Les derniers jours du parti socialiste
Les derniers jours du Parti socialiste, d'Aurélien Bellanger, paraît le 19 août aux éditions du Seuil - Photo SEUIL

Et c’est à la faveur des attentats terroristes que ce courant minoritaire gagne les esprits et fait prendre à la France un tournant sécuritaire et antimusulman.

Comme dit l’un des personnages, il y a deux manières de prendre le pouvoir, la façon léniniste – par la révolution – ou la façon gramscienne – par l’hégémonie culturelle. Les champions de ce nouveau mouvement islamophobe essayent de se rapprocher de la macronie et Macron va vouloir les utiliser. Peu importe, au fond, qu’ils réussissent ou échouent, ils arrivent à contaminer l’époque, leur défaite sur le plan tactique se révèle un triomphe idéologique.

« La politique-fiction est passée cet été du monde romanesque à la réalité : depuis la dissolution, la France est clairement entrée en territoire politique inconnu »

N’est-ce pas au fond un miroir inversé de Soumission, de Michel Houellebecq qui décrivait la prise de pouvoir en France par les Frères musulmans ?

J’ai beaucoup aimé le premier Houellebecq (d’Extension du domaine de lutte à La possibilité d’un île). Ici j’ai créé un personnage d’écrivain, qui me ressemble par certains aspects, auteur d’un roman intitulé Séparation, un Soumission à l’envers. Le titre me plaisait, car c’est à la fois la France qui se sépare de la communauté musulmane et la séparation de l’Église et l’État gravée dans le marbre de la loi de 1905.

Les derniers rebondissements politiques vont-ils vous inspirer un nouveau roman ?

La politique-fiction est passée cet été du monde romanesque à la réalité : depuis la dissolution, la France est clairement entrée en territoire politique inconnu. La suite se délire ou s’imagine sous nos yeux. Et je crois qu’on aura autant besoin de romanciers que de constitutionnalistes…

Aurélien Bellanger, Les derniers jours du Parti socialiste, Seuil, 480 p., 23 €

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