Les armées de l'ombre. Depuis les années 1980, Rémi Kauffer, historien, enseignant, journaliste, a consacré, seul ou en collaboration, un grand nombre de livres à son sujet de prédilection, l'espionnage, sous ses aspects les plus divers. Il revient aujourd'hui avec une somme dont la grande originalité est de nous sortir de nos frontières occidentales. Cet ouvrage n'est ni une encyclopédie ni un essai. Rémi Kauffer a choisi la forme du dictionnaire, qui lui donne plus de latitude, et permet de surcroît à son lecteur de se balader au gré de ses envies, de ses centres d'intérêt.
Les entrées, précisons-le, sont souvent présentées de façon fouillée. Prenons par exemple l'histoire de l'espionnage en Inde, depuis avant son indépendance (1947) jusqu'à aujourd'hui. Kauffer remonte au Raj britannique, avec Kim, de Rudyard Kipling, roman dont le héros était un agent secret à moitié irlandais. Bien plus en amont, il rappelle que -l'Arthashâstra (écrit en sanskrit au iv-iiie siècle av. J.-C.) était un traité de politique, de stratégie, instituant des agents secrets soit locaux, soit itinérants, qui s'apparentaient à des diplomates. Une frontière poreuse encore aujourd'hui dans certains pays... À ces agents, ces James Bond de l'époque, tout était permis pour servir leur souverain, y compris tuer (licence to kill). Le système a perduré sous les empereurs moghols. Quant à l'Inde moderne, après la fin sanglante de l'Empire puis la terrible partition d'avec le Pakistan, elle s'est vite constitué ses services secrets, d'abord avec l'aide du MI6. Le IB deviendra en 1968 la Research and Analysis Wing (R&AW), laquelle a largement démontré son efficacité, même si elle n'est pas parvenue à empêcher l'assassinat d'Indira Gandhi en 1984, par des sikhs de sa garde personnelle, ni celui de son fils Rajiv en 1991, par une fanatique des Tigres tamouls sri-lankais.
À côté des entrées sur des pays (l'Inde, donc, ou l'Iran, la Chine, le Pakistan etc.) figurent des personnages célèbres, comme le général de Gaulle qui, dès son arrivée à Londres et la création de la France libre, en a confié les services secrets (le fameux 2e Bureau) au colonel Passy. Défilent également des pages d'histoire. On apprend ainsi que les Byzantins étaient passés maîtres dans l'espionnage et la diplomatie secrète, le renseignement militaire et le décryptage des messages codés, au sein d'un bureau des affaires barbares. Une efficacité qui n'a pas suffi pour déjouer les plans des Ottomans, qui ont pris et saccagé Constantinople en 1453. L'espionnage a son antidote, le contre-espionnage.
De nos jours, les services recrutent des drones et font appel à l'IA. Procope de Césarée, barbouze en chef byzantin du vie siècle, n'aurait pas aimé ça.
Dictionnaire mondial de l'espionnage
Perrin
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 27 € ; 480 p.
ISBN: 9782262104009