Akira Toriyama, Eiichirō Oda ou encore Kentarō Miura… Les grands mangakas japonais restent des références pour les auteurs français qui s’essaient au “manga de création”. Plus qu’une inspiration, leurs techniques sont une condition sine qua non à la réussite de leurs œuvres. “Le manga obéit à des codes stricts, si on s’en affranchit au nom d’une pure liberté éditoriale, alors ce n’est plus du manga mais davantage de la bande dessinée”, estime Mahmoud Larguem.
L’éditeur a fondé avec sa femme Ludivine Gouhier la maison d’édition H2T en 2016, spécialisée dans le manga de création. Deux ans plus tard, Pika rachète la maison et la transforme en label. Les deux éditeurs proposent un travail d'accompagnement similaire à ceux de leurs confrères japonais. Une première partie du travail se consacre sur l’esquisse d’un roman. “Cela arrive que nous changions l’histoire proposée par les auteurs parce que ses ambitions et techniques ne sont pas à la hauteur”, raconte Mahmoud Larguem. Le rendu graphique et les différents storyboard sont ensuite abordés.Le catalogue d’H2T compte une vingtaine d’auteurs.
Parmi les mangakas français à succès se trouve Reno Lemaire, auteur du manga à succès Dreamland. La série est prépublié dès 2005 chez Pika et compte aujourd’hui 20 tomes et la sortie d’un volume 21 cet automne. Bien que les techniques utilisées sont celles du Japon, le style fait appel aux classiques franco-belge. “Mon style est autant inspiré de l’école franco-belge que du manga et de l’heroic fantasy”, affirme l’auteur de 42 ans. Pour Élise Storme, directrice éditoriale des éditions Ankama, même s'il y a des références occidentales, “il y a un réajustement au niveau graphique par exemple le dessin d’un visage plus rond qu'anguleux.”
Faire vivre le manga de création face aux mastodontes japonais
Ankama a arrêté d’acheter des licences japonaises en 2013 pour se consacrer entièrement aux mangas de création. “Le marché d’achat de droit japonais est tellement saturé, aujourd’hui faire de la création coûte moins cher”, explique Elise Storme. Le prix d’une création varie entre 12000 et 18000 euros par tome chez eux. Malgré l’avantage financier, les éditeurs doivent rendre visibles ces mangas. “Les blockbusters japonais prennent tout le marché, quand nous sommes français nous partons avec encore moins d’armes. Au début c’est assez dur, le public nous compare aux Ferrari japonaises”, témoigne Reno Lemaire.
Pour contrer ce déséquilibre, les maisons d’éditions françaises accumulent les tomes avant de les publier. En raison de la prépublication des chapitres dans les magazines japonais, le lecteur de manga s’est habitué à lire successivement les chapitres dans un temps restreint. “Les auteurs doivent travailler en sous-marin, cela peut être difficile pour eux, l’éditeur doit être capable de répondre à cette dimension psychologique”, précise Mahmoud Larguem.
L’autre méthode utilisée est celle de la proximité entre le public et l’auteur. Chaîne Twitch ou autres réseaux sociaux, des salons comme la Japan Expo mais aussi des séances de dédicaces, le mangaka français est plus accessible. “Il faut créer des moments privilégiés avec l’auteur”, résume Elise Storme. Pour rendre plus populaires ses auteurs, l’éditrice réalise des livrets de prépublication disponibles 15 jours avant la sortie d’un tome en librairie.
La consécration japonaise
L’un des plus grands succès en manga de création reste la série Radiant de Tony Valente (Ankama). La série, démarrée en 2013, voit son prochain tome publier le 1er avril. Traduit dans 18 pays, le tome 1 de la série s’est vendu à plus de 78000 exemplaires dans l’Hexagone selon GfK. La “consécration” reste son adaptation en dessin-animé par la NHK, le groupe audiovisuel public japonais en octobre 2018. Un producteur de la chaîne a été interpellé par la présence d’un manga français dans une librairie au Japon. Malgré ce succès, Tony Valente qui vit au Canada reste modeste : “le manga japonais se suffit à lui-même."
L’éditeur au Japon, Frédéric Toutlemonde avait été séduit par la créativité de la série mais surtout par le respect des codes du manga japonais. “Nous pouvons retrouver l’essence d’un certain classicisme du shonen manga”, précise-t-il. Dans sa maison d’édition Euromanga, spécialisée en bande dessinée, Frédéric Toutlemonde n’a publié qu’un seul manga de création, celui de Tony Valente. L'éditeur aimerait s’élargir aux mangas de créations mais pour lui : “il faut juste qu’il y ait une augmentation de la qualité des titres proposés dans la maîtrise de la narration et du graphisme.”