Retour de Bobin l’inclassable, avec un livre de petite dimension mais de grande densité, comme toujours. Et peut-être plus "facile" que ses deux ou trois précédents, parce que la tonalité en est plus enjouée, plus panthéiste et que, tout en se livrant à nombre de confidences, sur lui, son rapport au monde, Dieu (s’il existe), l’écrivain nous fait visiter la galerie de ses admirations, essentiellement des poètes et des peintres, à qui il adresse, sur un ton parfois familier, des espèces de lettres. L’analyse fine y côtoie l’enthousiasme, avec des formules qui n’appartiennent qu’à lui. Ainsi, à la suite d’une visite au sublime musée Fabre de Montpellier, cette note : "Soulages envoie toute la peinture à la brocante. »
Poète lui-même à sa façon, en prose, haïkus et aphorismes, Christian Bobin célèbre ici par-dessus tout la poésie : "Ah ne m’enlevez pas la poésie, elle m’est plus précieuse que la vie, elle est la vie même, révélée, sortie par deux mains d’or des eaux du néant, ruisselante au soleil." Il écrit à la bien oubliée Marceline Desbordes-Valmore, à Mallarmé (sur la mort d’un enfant), au Homère de L’Iliade, à Ronsard à travers Jean Genet, à Jouhandeau, déplorant la perte du missel que sa grand-mère lui avait légué, ou encore au cher Jean Grosjean, qui fut son mentor. Il célèbre aussi Marilyn Monroe, figée à jamais dans son sourire et sa folie, Bach, qui réussit à transcrire dans ses Variations les plus subtils des chants d’oiseaux, ou le Vermeer de La liseuse.
Car La grande vie, autre nom que Christian Bobin donne à la poésie, c’est aussi le livre des livres. Une célébration passionnée de la lecture et de l’écriture, un chant d’amour à la littérature, en particulier lorsqu’elle se trouve menacée par le monde actuel, "moderne", vulgaire et mercantile. "J’ai commencé mes études dans les livres et je les ai poursuivies dans la lecture des fleurs et des bêtes", explique Bobin, dans les pas de son maître François d’Assise. On a l’impression qu’il passe une large partie de son temps derrière sa fenêtre à contempler la nature, essentiellement les fleurs et les oiseaux, mais aussi le chat qui fait ses gammes "sérielles" sur les touches du piano. Et à s’émerveiller de tout, "d’un rien de lumière sur une montagne d’ombre ». Image symbolique de la façon dont il conçoit et vit sa foi, fidèle à l’enseignement du Christ, celui de la Résurrection. Nul doute qu’il retrouvera alors son père disparu récemment, lequel hante ces belles pages, comme une ombre aimée qui ne demande qu’à revoir le jour. C’est fait, grâce au miracle de l’écriture et du talent.
Jean-Claude Perrier