C’est une toute petite île. A peine une langue de terre posée sur la Bidassoa par où la France devient Espagne, à moins que ce ne soit l’inverse. Aujourd’hui encore, l’île des Faisans se partage entre les deux souverainetés. Le 9 janvier 1722, il n’était plus question d’erreur mais que de vérité, au-delà comme en deçà des Pyrénées. Sur la petite île pavoisée d’importance, les deux royaumes achetaient à grands frais la paix en s’offrant leurs enfants. Deux petites princesses s’en allaient chacune, outre frontière, vers son destin.
La première, Maria Anna Victoria, a 4 ans. C’est l’Infante d’Espagne, fille de Philippe V. Elle est promise par la « grâce » d’une idée singulièrement machiavélique de Philippe d’Orléans, Régent du royaume de France, au jeune roi Louis XV, de sept ans son aîné. La seconde fait le chemin en sens inverse. C’est Mademoiselle de Montpensier, 12 ans, la fille du Régent. A elle, c’est le royaume d’Espagne qui s’offre via son union avec le prince des Asturies, 14 ans quant à lui, futur héritier du trône. Chez ces gens-là, le mariage, soumis aux variations saisonnières et consanguines de la diplomatie, n’attendait pas le nombre des années…
Cet échange de bons procédés de deux princesses, deux enfants, entre deux royaumes cousins qui ne savent se faire que de telles grâces ou bien la guerre, c’est L’échange des princesses, le nouveau roman de Chantal Thomas. Laquelle, on le sait désormais, ne chante jamais si clair, si juste, si bien, que dans son arbre : le XVIIIe siècle, Versailles et son pandémonium féerique et tragique. Après Les adieux à la reine (Seuil, 2002, prix Femina), après Le testament d’Olympe (Seuil, 2010), après Les noces de l’enfant roi, le beau spectacle qu’elle écrivit pour Alfredo Arias en 2006, construit déjà sur le même argument, la voilà de retour chez elle. Et plus en forme que jamais, c’est-à-dire là exactement où se rejoignent la rigueur qu’exige la reconstitution historique et la fantaisie allègre qu’elle prête aux temps alors qu’elle n’est que la signature de son si singulier talent. Nulle lourdeur néoclassique en ces pages, mais plutôt une fascination (où la répulsion n’est pas toujours absente) pour cette société qui semble déjà ne plus tenir qu’à son sens du rituel poussé à l’extrême. Ce bal masqué, ce théâtre d’ombres s’apprête à basculer dans sa nuit…
Il le fait en offrant l’enfance en ultime victime sacrificielle. « Et si s’annonçait le règne des enfants ? Si Louis et Mariannine au pouvoir allaient amener la libération des enfants ? Les enfants pauvres, les derniers des humiliés, exploités, affamés, battus, en premier comme dans la parole de l’Evangile. Le vent est froid, l’obscurité totale. […] Les petites fileuses, ravaudeuses, aux yeux qui pleurent, gardiennes d’oies jamais lavées, lavandières aux mains gercées, la cohorte malmenée, matraquée, fouettée, piétinée, pourchassée des mendiants et mendiantes, ils rêvent les yeux ouverts dans le noir. » Chantal Thomas nous invite à les rejoindre. Cela ne se refuse pas.
Olivier Mony