Québec

Pourquoi la panne ?

Au Salon du livre de Montréal 2015. - Photo Fabrice Piault/LH

Pourquoi la panne ?

Au sortir de deux années difficiles, le marché du livre québécois fait face à des défis structurels : concentration de la librairie et de la distribution, réorganisation des subventions, crise de laprescription. Le gouvernement étudie une révision de la loi 51 qui le structure depuis trente-cinq ans.

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Par Fabrice Piault
Créé le 08.01.2016 à 01h05 ,
Mis à jour le 08.01.2016 à 08h18

Heureusement, il y a le Salon du livre de Montréal. Chaque année en novembre, il vient immuablement à point pour remobiliser le lectorat québécois à la veille des fêtes de fin d’année. Et depuis deux ans, ce n’est pas du luxe. D’après les données de l’Observatoire de la culture et des communications du Québec, les ventes de livres, qui décéléraient depuis 2010 mais se sont reprises en 2013 (+ 1,3 %), ont connu une chute de 9,5 % en 2014, à 622 millions de dollars canadiens (413 millions d’euros) (1). Elles sont tirées vers le bas par les grandes surfaces qui, elles, ont affiché un reflux de - 24,2 %. Pour 2015, où elle se révèle mieux orientée, l’activité s’inscrivait encore en baisse de 3,5 % à fin août. "Les mesures d’austérité du gouvernement ont un impact négatif", déplore la P-DG de Gallimard Canada, Florence Noyer. "Les gens ont moins d’argent", confirme Johanne Guay, P-DG du groupe Librex.

Assorties d’un budget de 12,7 millions de dollars canadiens sur deux ans (2), les 12 mesures annoncées en avril par la ministre de la Culture et des Communications, Hélène David, atténuent le choc pour les entreprises du secteur. Mais, nourrie par le découragement provoqué par l’enterrement définitif, au printemps 2014, du projet de réglementation du prix des livres, l’inquiétude redouble avec le renforcement des concentrations. Dans la distribution, Socadis (groupe Madrigall), qui distribue non seulement Gallimard et Flammarion, mais aussi Hachette, et a attiré aussi bien Actes Sud que Leméac et Québec Amérique qui ont créé ensemble Nomade Diffusion, ne pèserait pas très loin de la moitié du marché devant ADP (Québecor).

Surtout, en librairie, depuis la confirmation l’été dernier du rachat de la chaîne Archambault (15 magasins) par Renaud-Bray (30), la part de marché de ce dernier atteint environ 40 %. Editeurs et distributeurs craignent que Renaud-Bray ne profite de l’affaiblissement de la grande distribution et de la relative faiblesse d’Amazon, dont la part de marché ne serait que de 8 à 9 % au Québec, pour leur imposer ses conditions comme il a tenté de le faire en 2014 avec Diffusion Dimedia. "La décision de Renaud-Bray, qui refusait de collaborer au système d’information interprofessionnel sur les ventes Gaspard, de ne plus transmettre non plus depuis le 16 novembre les données d’Archambault n’est pas de bon augure", observe un distributeur qui préfère garder l’anonymat.

Révision de la loi 51

La collaboration des librairies à la remontée d’informations sur les ventes de livres pourrait toutefois être intégrée aux conditions nécessaires à l’obtention du label de librairie agréée, qui donne accès aux commandes publiques et aux subventions, à la faveur de la révision envisagée de la loi 51. Celle-ci, qui structure le marché du livre au Québec depuis 1981, comme la loi Lang en France, fait actuellement l’objet d’un réexamen complet. Hélène David a missionné l’historien et éditeur Denis Vaugeois, qui avait porté la loi en tant que ministre des Affaires culturelles il y a trente-cinq ans, pour rencontrer les acteurs concernés et proposer, d’ici avril, des recommandations.

Suivant une première option, la loi elle-même serait modifiée. Ce serait indispensable si l’on voulait y intégrer le livre numérique, avec pour enjeu économique l’obligation pour les collectivités de procéder à leurs achats de livres numériques auprès des librairies agréées, comme pour les livres papier. Mais pour la présidente de l’Association nationale des éditeurs de livres (Anel), Nicole Saint-Jean, cet encadrement par la loi est "utile mais prématuré. C’est un secteur encore en expérimentation", plaide-t-elle. Deuxième option, une simple modification des règlements de la loi (décrets d’application). Cela permettrait une actualisation sans bouleversement des grands équilibres du secteur. Réponse au printemps.

(1) Voir aussi "Québec, dans le creux de la vague", LH 1020, du 28.11.2014, p. 16-19.

(2) "Hélène David : "Il faut réinventer la notion de librairie"", LH 1045, du 5.6.2015, p. 26-27.

Pascal Assathiany : "L’écosystème culturel s’est écroulé"

Pascal Assathiany, Bréal et Dimedia.- Photo FABRICE PIAULT/LH

Défi fondamental pour le monde du livre québécois, "tout l’écosystème culturel qui le faisait vivre s’est écroulé", déplore Pascal Assathiany, P-DG des éditions du Boréal et président fondateur de Diffusion Dimedia. "A l’Université, la culture générale a fait place à la spécialisation, avec des enseignants très pointus, et toute transversalité a disparu. Dans les médias, le livre n’est plus qu’une case dans un horaire. Il n’y a plus comme en France des émissions de radio ou des journaux qui portent un regard sur le monde à travers celui des écrivains. Aux informations télévisées, on ne voit à peu près jamais quelqu’un qui a écrit un livre, cela s’est beaucoup dégradé." La promotion du livre se trouve ainsi très fragmentée. Tandis que les pages consacrées au livre ont été réduites dans la presse, qui a elle-même perdu du terrain, "il y a bien quelques blogs, quelques sites Internet, mais il n’y a plus de grand foyer faisant rayonner le livre".

Dans le même temps, sur le plan des politiques publiques, "c’est la catastrophe totale, estime Pascal Assathiany. Le prix unique du livre a été refusé pour des raisons idéologiques. 12 millions de dollars canadiens (7,9 millions d’euros) vont être injectés dans la chaîne du livre sur deux ou trois ans, mais c’est une goutte d’eau." Au total, "le livre ne fait plus partie de la vie publique, il n’est plus exposé".

Johanne Guay : "Les lecteurs prennent moins de risques"

Johanne Guay, groupe Librex.- Photo FABRICE PIAULT/LH

Pour Johanne Guay, P-DG, au sein du Groupe livre Québecor Média, du groupe Librex (Libre expression, Stanké, Trécarré, Logiques, Publistar, 10 sur 10, etc.), "la question économique est essentielle", en particulier en fiction. "Alors que l’économie ne va pas bien, les gens veulent être sûrs de ce qu’ils achètent. Ils prennent moins de risques. Ils veulent être sécurisés sur leur investissement", souligne-t-elle. Ce qui est positif, estime Johanne Guay, c’est le développement de nouvelles maisons portées par de jeunes éditeurs comme Alto, La Peuplade ou La Pastèque. Mais, tempère-t-elle, "je ne vois pas le résultat de tous ces efforts des jeunes éditeurs littéraires dans les ventes". Pour la P-DG de Librex, "les ventes se concentrent sur des auteurs connus ; il est devenu très difficile de faire connaître de nouveaux auteurs". La concentration de la librairie ne facilite pas les choses : "Tout le monde se demande ce qui va se passer après le rachat d’Archambault par Renaud-Bray". Au même moment, la promotion du livre patine car "les médias traditionnels ne sont plus là". D’après Johanne Guay, une partie de la réponse viendra du développement de la stratégie Web et des médias sociaux : "Nous y assurons déjà 40 % de notre promotion."

Nicole Saint-Jean : "Des plans d’aide en réaménagement"

Nicole Saint-Jean, Guy Saint-Jean éditeur.- Photo FABRICE PIAULT/LH

Essentielles sur un territoire comme le Québec, qui ne compte que 6,5 millions de francophones (sur 8,2 millions d’habitants dans la province), les politiques de subventions à l’industrie du livre sont elles aussi fragilisées. "En 2015, tous les programmes d’aide fédéraux (Canada) et provinciaux (Québec) se sont trouvés "en réaménagement", déplore la présidente de l’Association nationale des éditeurs de livres (Anel), Nicole Saint-Jean, P-DG de Guy Saint-Jean éditeur. On nous annonce des changements sans nous avoir consultés. Nous devons nous assurer que les intérêts de l’édition sont préservés dans un contexte où les instances auxquelles nous sommes confrontés sont dédiées à la culture en général, et non au livre. Nous devons nous battre notamment face au cinéma, qui reçoit dix fois plus d’aides que nous."

Ces incertitudes incitent les différents acteurs de la chaîne du livre à resserrer leurs liens. L’Anel a repris langue avec l’Union des écrivaines et des écrivains québécois. "Nous travaillons beaucoup avec eux, notamment sur la reddition des comptes et nous allons élaborer un modèle de contrat recommandé pour les éditeurs, indique Nicole Saint-Jean. L’idée est que chacune des parties comprenne mieux les problèmes des autres."

Arnaud Foulon : "La grande distribution recule fortement"

Arnaud Foulon, groupe HMH.- Photo NICOLE TASSÉ

Si l’on a vu le marché du livre québécois se resserrer en 2014 et 2015, c’est d’abord, selon Arnaud Foulon, parce que "la grande distribution recule de manière très importante". Tandis que les chaînes Zellers et Target Canada ont successivement fermé en 2013 et 2015, "les espaces dédiés aux livres, en l’occurrence les best-sellers, chez Walmart et Costco ont été beaucoup réduits en cinq ans, précise le directeur général du groupe d’édition et de distribution HMH. Si l’on prend en compte le fait qu’une bonne partie du rayon est occupée par des poids lourds comme Astérix ou Fifty shades, il ne reste plus beaucoup de place pour faire des expériences. Des titres que nous vendions à 25 000 exemplaires ne se vendent plus qu’à 20 000. Même si la librairie reste notre principal circuit de vente, cela a un impact sur une marque populaire comme Hurtubise."

Pourtant, Arnaud Foulon perçoit aussi des signes positifs depuis cet été. "Il y a une reprise en librairie, assure-t-il. La librairie de Verdun, par exemple, au sud-ouest de Montréal, a doublé sa surface de vente. Or, si nous sommes éditeurs, rappelle-t-il, nous ne pouvons pas penser l’édition indépendamment de la distribution comme de la librairie indépendante." Par ailleurs, "nous développons beaucoup nos ventes de droits à l’étranger", se félicite le directeur général d’HMH.

Elodie Contois : "La question majeure de la concentration"

Elodie Contois, Ecosociété.- Photo FABRICE PIAULT/LH

D’après la responsable commerciale et communication d’Ecosociété, filiale d’édition d’une association sans but lucratif qui se consacre aux défis écologiques, économiques et sociaux de l’époque, "la question de la concentration est majeure" depuis le rachat en 2015 de la chaîne de librairies Archambault par Renaud-Bray, dont la part de marché avoisine désormais les 40 %. Elodie Contois craint que le Québec ne suive l’exemple du Canada anglais "où la reprise de Chapters par Indigo a complètement étouffé le secteur". Pour elle, "ce que Renaud-Bray a fait en 2014-2015 à Diffusion Dimedia [en cherchant à imposer unilatéralement de nouvelles conditions commerciales, NDLR] a donné un aperçu de l’évolution à venir de la filière".

Elodie Contois s’inquiète de l’avenir de la librairie, mais aussi de la distribution, qui connaît également une concentration croissante : "Il y a un vrai enjeu de préservation de la diversité et de la place du livre dans notre société." Un point positif toutefois : "Le rapprochement entre éditeurs, libraires, salons et, plus récemment, Union des écrivaines et des écrivains québécois avec laquelle les relations étaient difficiles. Il y a, dit-elle, un grand réalisme et une volonté de travailler ensemble."

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