La littérature est une arme de séduction massive. C’est pourquoi elle a des ennemis. Et cela depuis l’Antiquité. Ainsi, Socrate préférait la supposée vérité du philosophe à l’illusion d’Homère. "En fait, nous dit William Marx, c’est quand elle commence à avoir des ennuis que la littérature commence tout court." De fait, on n’a jamais autant lu Madame de La Fayette qu’après la petite phrase de Nicolas Sarkozy sur La princesse de Clèves.

Dans cet essai qui fait suite à L’adieu à la littérature (Minuit, 2005), William Marx (université de Paris-8) revient sur les quatre procès principaux qui sont faits aux romanciers et aux poètes : atteinte à la raison, à la morale, à la démocratie, à la société. Pour de curieux psychologues, la littérature n’intéresserait que les homosexuels ; pour des philosophes déçus, elle ne préserverait de rien puisque des nazis en furent friands. Mais que dire alors de la sagesse distillée par Heidegger ? Alors que la science et la philosophie diraient le vrai, la littérature se complairait dans le faux ou du moins l’illusion du vrai. A toutes les époques, les partisans du réel, de l’utile et du maîtrisable inclinent pour une littérature soumise et pour des poètes qui produisent des papiers en règle. Or, la littérature dérange justement parce qu’on ne voit pas à quoi elle sert. Pourtant, c’est ce superflu qui lui donne un caractère essentiel.

Sans prétention théorique, sans jargon, William Marx se contente d’énumérer les faits, d’aligner des citations parfois stupéfiantes et de pointer ses désaccords par exemple avec Bourdieu qui, méfiant, voyait dans la littérature un outil de préservation et de reproduction des élites. Il dit tout cela avec élégance, non sans une pointe d’humour, et se demande même s’il ne consacre pas trop de place à cette anti-littérature. Sauf que cette anti-littérature a produit elle-même de la littérature chez Bossuet ou chez Rousseau, et que la haine, même farouche, vaut toujours mieux que l’indifférence. Pour William Marx, "la littérature est le discours illégitime par excellence". Avec ce marxisme-là, tout le monde sera d’accord. L. L.