Entre l'ange et les bêtes. Parfois on croit que le passé est passé, et, sans crier gare, le revoilà. Et ce n'est alors jamais sans conséquences. C'est ce qui est arrivé à John. Cet encore jeune berger passe la moitié de l'année dans un chalet d'alpage du Haut-Jura, entouré de silence, de forêts et de ses bêtes, brebis et chiens. Il est à l'aube de tourner une nouvelle page de sa vie, s'apprêtant à quitter ses montagnes pour s'établir avec sa compagne sur l'île de la Réunion. Il n'en fera rien. En cause, la découverte dans les pages d'un vieux journal d'un fait divers survenu près d'un an auparavant. Son grand ami des années lycée, Alexandre, perdu de vue depuis lors, devenu vétérinaire et militant animaliste, est accusé d'avoir tué un homme, un voisin, un chasseur de 20 ans. Infiniment troublé par l'écart entre cet acte insensé et les souvenirs qu'il a gardés de la personnalité pacifique d'Alexandre, John va essayer d'en savoir plus, d'en savoir tout, se rapprochant de la femme de son ami, Nadia, elle aussi ancienne camarade de classe. Mais les ombres du passé, mélangées aux angoisses du présent et aux exaltations incertaines du futur, vont bouleverser profondément la vie de John, jeune type mutique en proie au tumulte de la passion amoureuse.

Le nouveau roman de Pierric Bailly, La foudre, est son plus ambitieux peut-être et, d'un point de vue strictement romanesque, le plus accompli. Il y a quelque chose d'angélique dans la figure de John, le héros et narrateur. Qui fait l'ange fait ici la bête. Le berger est mû par ses passions tues autant que par sa solitude, un chagrin qui ne s'avoue jamais vraiment comme tel. Le dispositif narratif de Bailly est implacable, plaçant chacun, personnages comme lecteur, face à une forme incertaine de fatalité. L'auteur de L'homme des bois et du Roman de Jim (P.O.L, 2017 et 2021) agrandit encore sa palette littéraire. Jamais il n'avait fait preuve d'autant de maîtrise, en tout cas sur un livre aussi vaste et ambitieux. Par l'attention pleine d'humanité qu'il porte à ses personnages comme par sa façon de réinventer les territoires, géographiques et mentaux, on ne lui trouvera pas d'autre équivalent dans le champ littéraire contemporain que le Sylvain Prudhomme de Par les routes (Gallimard, 2019). Bref, quelque part vers les sommets.