Calamités gemme. L'œuvre protéiforme de Pierre Pelot intimide. Sous les braises d'un Eté en pente douce couvent une pléthore d'autres illustres brûlots et autant, voire plus, de pépites oubliées, dont quelques westerns d'anthologie, effacés comme la poussière des galops par les vents conjugués du temps et des hautes plaines. Sur la piste dès 1966 et descendu de selle en 1977 après quatorze épisodes dans la collection « Pocket Marabout », le métis franco-indien Dylan Stark est de ces cowboys raturés par les décennies. Sa réapparition filigranée aujourd'hui, pour cet impressionnant et impressionniste Loin en amont du ciel, pour un autre et inattendu tour de piste à « La Noire », nous comble d'aise. Notons d'ailleurs qu'après Les mille crimes de Ming Tsu de Tom Lin, c'est le second époustouflant western qu'enchaîne la collection déjetée et siamoise de la « Série noire ».
La guerre de Sécession s'achève dans une totale confusion, jetant sur les grands chemins des hordes de bandits en perdition, sans amarres et à la cruauté sans limites. De cette zone de non-droit, l'auteur n'édulcore rien. Son talent rédactionnel illumine les terres du rêve américain autant que l'horreur des déprédations engendrées. Ses phrases en jachère racontent un pays qui ne l'est pas moins. Même les pires massacres, diaboliquement bien rédigés, laissent pantois. Mais c'est du calvaire des sœurs McEwen que naît le madrier du texte. L'aînée, prénommée Énéa, comme une redondance pour appuyer le poids des responsabilités inhérentes, était la promise de Dylan Stark, avant la guerre, avant les lacérations faciales, avant les tragédies et l'orphelinage. Et c'est elle qui prend sur ses épaules meurtries la charge d'infliger les châtiments du talion à ceux qui ont réduit en cendres les familles McEwen et Stark. Accompagnée des jumelles Erin et Aïleen, barillets chargés jusqu'à la gueule, elle s'aventure vers la seule issue qui puisse apaiser tous les venins qui l'attisent. En une sorte de « vengeance aux deux visages », celui d'avant les drames aiguillonnant celui d'après pour le faire monter à cru sur les grands chevaux de la haine, Énéa avancera coûte que coûte. Son itinéraire croisera et embrigadera une cour des miracles, essentiellement féminine, aussi foutraque que chatoyante. De l'Arkansas au Missouri, elle mutera de jeune fille posée en cheffe de guerre hors-la-loi, enchaînant les rencontres plus ou moins hostiles et les situations plus ou moins fébriles. Sous sa panoplie de justicière improvisée germe puis gronde toute l'amertume qui la guidera.
C'est un journaliste itinérant, Anton Deavers, sorte de doublure yankee d'un Pierre Pelot jeune, qui récoltera les équipées d'Énéa pour les relater à la suite de celles de Dylan, le beau fiancé évanoui, telles les réminiscences enfin colligées de sourires révolus. Mais il faudra surtout compter sur l'habileté de l'auteur pour insérer ces bribes d'harmonie dans un parcours grimaçant. Escamotant ainsi les atrocités sous les clairières sensitives, Pierre Pelot opère comme un naturaliste, peintre ou sculpteur dont les mots nous narrent tout, là les flammèches d'un ciel irisé, là les incertitudes mélancoliques d'un avenir douteux. C'est ardu, brumeux, brutal et magnifique à la fois.